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XVII

Et la lumière s’en fut !

À maintes reprises au cours de cet ouvrage, nous avons parlé de l’éclairage comme d’une source constante de problèmes pour les caravaniers. Nous souhaiterions, à l’occasion de ce chapitre, aller plus loin en faisant toute la lumière sur cet aspect trop souvent méconnu des néophytes.

En effet, si, aux yeux du commun des mortels, la caravane représente un sérieux progrès par rapport à la tente, c’est précisément parce qu’elle lui évite de se les abîmer : au diable les torches et lampes à gaz, de maniement délicat et tout juste bonnes à transformer votre toile en théâtre d’ombres pour voyeurs noctambules, sans pour autant vous permettre d’établir avec certitude si la carte que vous vous disposez à jeter s’apparente à un roi de trèfle ou à une dame de carreau !

Seulement voilà : comment faire en sorte que les splendides appliques murales, qui font maintenant l’orgueil de votre maison roulante, deviennent autre chose que de banals réceptacles pour chiures de mouches ? Si, sur le papier, la solution peut paraître évidente, voire désespérante de simplicité (ne suffit-il pas de « se brancher » sur l’un des multiples poteaux du camp ?), il en va souvent différemment dans la réalité. Nous l’avons souligné, lesdits poteaux ne sont pas toujours aussi multiples que la lecture du guide pouvait, de prime abord, le laisser supposer. Quant à leur répartition sur le terrain, elle n’est pas vraiment un modèle d’équité : ainsi, faute de disposer d’une rallonge d’une bonne centaine de mètres et d’une santé à toute épreuve pour vous faufiler en compagnie de cette dernière parmi les taillis, buissons et ronces qui vous séparent de la prise, il serait réellement étonnant que vous parvinssiez de la sorte à vos fins. Quand cela serait, il y a gros à parier que le caractère primitif de l’installation, à base de fils électriques traînaillant dans l’herbe humide et de raccordements plus ou moins douteux, ne vous inspirerait qu’une confiance limitée.

Dès lors, nombreux sont les caravaniers qui, une fois au courant de toutes ces vicissitudes, préfèrent de beaucoup se rabattre sur la batterie de leur véhicule. Las ! il n’est pas rare que celle-ci doive, à son tour, en rabattre : elle n’est certes pas éternelle, pas plus d’ailleurs que le câble d’alimentation qui devient, de ce fait, le point névralgique de l’attelage, comme en témoigne, une fois encore, l’exemple des Duroc.

 

Un soir que ce benêt de fils s’ébrouait autour de la caravane paternelle en se prenant pour Platini, ce fut le drame : victimes d’un tir par trop tendu, câble et lumière rendirent l’âme...

Nous passerons rapidement sur la rixe qui s’ensuivit. Bornons-nous à signaler que M. Duroc, conscient de l’ampleur des dégâts, jugea bon de remettre au lendemain ce qu’il pouvait faire le soir même et profita de la pénombre pour expédier tout son monde au lit.

Au petit matin, il réveilla son épouse pour lui demander où se trouvait le tournevis, enfonça jusqu’aux oreilles son chapeau de paille, enfourcha un pliant et se mit à l’ouvrage. Amoureux, en toute chose, du travail bien fait, il démonta complètement la prise, déconnecta les fils un à un, poussant la conscience professionnelle jusqu’à les dénuder correctement à l’aide d’un couteau de cuisine...

Vers onze heures, l’électricien en herbe, dont le large sourire disait assez la satisfaction intérieure, entreprit de remonter la prise, replaçant chacun des sept fils au jugé. Optimiste comme à son habitude, il se glissa aux commandes de son véhicule et invita sa femme à se poster à l’arrière pour lui communiquer le résultat de ses manœuvres.

L’air important, M. Duroc appuya d’un pied ferme sur la pédale de frein ; il entendit aussitôt une voix nasillarde lui crier : « Flèche droite ! »

Pris d’un doute, notre héros abaissa sa flèche vers la droite, ce qui eut pour effet de déclencher l’éclairage intérieur de la caravane. Dès lors, ce fut un dialogue de sourds : la flèche gauche commandait les veilleuses, les veilleuses les feux stop... Préférant ignorer sa moitié qui, ne se doutant de rien, revenait de la poupe en arborant une mine réjouie, M. Duroc claqua sa portière, reprit son tournevis et varia les combinaisons. Mais à 5 heures de l’après-midi, force fut de se rendre à la triste évidence : le trio n’aurait de lumière, ce soir-là, qu’à la condition que quelqu’un s’installât dans la voiture pour y actionner le frein !

Comme un malheur n’arrive jamais seul, le fils revint alors de la piscine pour constater, goguenard, qu’il ne restait plus guère que quelques milliers de combinaisons à tenter et qu’avec un peu de chance, tout serait rentré dans l’ordre d’ici à trois semaines. Évaluation qui, pour fondée qu’elle fût sur des critères hautement scientifiques, lui valut aussitôt une taloche.

Les jours succédèrent aux jours. Les nuits étaient de plus en plus longues. M. Duroc, qui consacrait le plus clair de ses vacances à rechercher la solution miracle, sombrait lentement dans la neurasthénie. N’alla-t-il pas, un après-midi qu’il se promenait dans les allées du camp, jusqu’à se précipiter, l’écume aux lèvres, sur un marmot qui s’exerçait méninges et phalanges sur le Rubik’s cube ? La situation s’aggravant d’heure en heure, Madame dut se résoudre à faire appel à un spécialiste ; lequel, muni d’un schéma (dont on devait retrouver le jumeau peu après, dans un slip), remit tout en état en un temps record et pour une somme dérisoire.

Pas assez dérisoire, toutefois, pour que M. Duroc, dont l’amour-propre saignait, ne promît pas une correction de choix à son « fils d’andouille » s’il s’avisait jamais de recommencer...

 

La nuit qui suivit fut paisible, chacun des caravaniers, tout à l’enthousiasme retrouvé, se surprenant à rêver à un paradis de lumière... Ces visions idylliques ne furent troublées, vers les sept heures du matin, que par un craquement des plus suspects, ponctué, quelques secondes plus tard, d’un juron retentissant. Mère et fils jaillirent alors des sacs de couchage pour se presser aux fenêtres.

Dehors, à la lueur rosâtre de l’aube, un illuminé — visiblement hors de lui — arrosait de furieux coups de pied la tête d’attelage. Au cri qu’il poussa lorsque le premier orteil vola en éclats, on s’aperçut qu’il s’agissait de M. Duroc. Dans sa hâte d’aller acheter les croissants dominicaux, il avait omis de débrancher son câble.

Les dégâts étaient heureusement minimes.

Sept fils arrachés net.

 
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