LE FIN MOT

Travaillez, prenez de la peine...

Timbrés de l'orthographe n° 7
juin 2014

Le laboureur de La Fontaine avait tout bon : le travail, ça n'a rien d'une partie de plaisir ! Au reste, on s'en rend compte de plus en plus puisque, pour 56 % des Français — si l'on en croit un sondage réalisé pour Sud-Ouest Dimanche et publié ces dernières semaines —, il représenterait moins un facteur d'épanouissement qu'une contrainte...

Là où ledit sondage devient presque touchant de naïveté, c'est quand très sérieusement il souligne que le rejet du travail est surtout marqué chez les gens... en âge de travailler. Les retraités, eux, en auraient une image plus positive. Cette fois, c'est Henri Salvador qui a tout bon : le travail, c'est la santé... à condition d'avoir arrêté !

Plutôt que de dilapider temps et argent en enquêtes d'opinion aussi prévisibles, n'aurait-il pas mieux valu sonder l'étymologie ? Celle-là nous aurait répondu — gratis — que le mot n'est pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche. Le latin dont il descend, tripalium (de l'adjectif tripalis, signifiant littéralement « à trois pieux »), désignait clairement, à l'origine, l'instrument d'une torture que les Romains infligeaient aux esclaves rebelles. Dans le meilleur des cas, l'engin allait servir à ferrer les bœufs ou les chevaux rétifs. En tout cas, rien qui inspire la bonne humeur. Faut-il d'ailleurs rappeler, quitte à en remettre... une couche, qu'en termes d'obstétrique le drôle renvoie aussi, et depuis longtemps, aux affres de l'accouchement ? Encore est-ce là faire bon marché de toutes ces acceptions qui, pour avoir sombré dans l'oubli, n'en ont pas moins existé, certaines locutions modernes en portent encore les stigmates !

C'est ainsi que, quand nous n'en aurions plus guère conscience, notre pugilistique « travailler au corps » renvoie à l'époque où le verbe ne signifiait ni plus ni moins que « molester, battre ». Le Dictionnaire historique de la langue française précise même que, chez les dévots à la Tartuffe, « travailler son corps » relevait de la flagellation et voulait dire, — bonjour, la haire et la discipline ! — le mortifier, le macérer. De même, quand « ça vous travaille », c'est que quelque chose vous tourmente, vous torture l'esprit. Bref, vous fait souffrir...

Autre expression pittoresque qui a subi l'injure du temps, « travailler du chapeau ». Nul doute que, sous l'influence du sens actuel, on n'y voie d'abord une activité intellectuelle débridée, au point que l'intéressé finit par perdre la tête. Mais, là encore, les choses s'éclairent quand on sait que travailler a aussi voulu dire « agiter, remuer l'eau d'un fleuve ». D'où, au sens figuré, « s'agiter de façon désordonnée », ce que traduit mieux le yoyoter d'aujourd'hui, que ce soit de la touffe, de la toiture ou de la cafetière !

Le gratifiant, ce devait être pour plus tard. À partir du XVIe siècle, plus particulièrement, quand à ces notions de peine et de fatigue viendrait, sinon se substituer, du moins se juxtaposer celle d'une transformation efficace. Pour le matériau travaillé comme pour le travailleur, du reste : les philosophes nous ont assez rabâché que c'est par le travail, et par lui seul, que l'homme s'élève et se réalise...

Au vu du sondage dont nous parlions, il n'empêche que nos contemporains semblent moins sensibles à la médaille que nous vaudrait le travail... qu'à son revers !

 

Retrouvez cet article dans sa présentation originale.