LE FIN MOT
On ne peut rien vous refuser !
Timbrés de l'orthographe n° 4
juin 2013
Pas même, illustre aréopage, de vous faire prendre place à bord de ce qui nous est toujours apparu comme la Rolls de l'accord du participe passé : le verbe se refuser. C'est que le bougre n'a l'air de rien, comme ça. On lui donnerait volontiers le Grevisse sans confession. On s'en servirait presque, c'est dire, pour faire répéter leurs gammes aux néophytes. « Elle ne s'est refusé aucun plaisir » ? Pas lieu d'accorder le participe avec le pronom « s' » qui précède, celui-ci étant visiblement un complément d'objet indirect. D'objet second même, le premier n'étant autre que le COD qui suit, « aucun plaisir ». « Elle s'est refusée à son supérieur hiérarchique » ? Cette fois l'accord se fait, parce que le « s' » est bien complément d'objet direct : ce que la brave dame refuse au mépris de la promotion canapé, c'est elle-même, son corps, ses appas ! Jusque-là, rien que d'élémentaire, mon cher Watson...
Les choses sont déjà moins claires dans une phrase comme « elle s'est refusée à toute solution de facilité ». Pas question, on s'en doute, de reconnaître à cette solution de facilité, quelque forme qu'elle prenne, le statut de COD, la préposition « à » qui précède s'y oppose absolument. Pourtant, à y bien regarder, le pronom antéposé « s' » est-il plus crédible dans le rôle ? Refuse-t-on soi-même à la solution de facilité... ou la solution de facilité à soi-même ? Pour justifier l'accord, force est de supposer que le verbe a entre-temps changé de crémerie : d'accidentellement pronominal qu'il était, il est de toute évidence passé — quand il serait peu de listes qui le recenseraient officiellement comme tel — dans le camp des pronominaux non réfléchis, encore appelés pronominaux subjectifs. C'est que dans ce cas précis, nul ne l'ignore, le pronom résiste à toute analyse et le participe s'accorde toujours avec son sujet, comme s'il s'agissait d'un verbe essentiellement pronominal !
Où lesdites choses se gâtent vraiment, c'est quand se refuser est suivi d'un infinitif : « Elle s'est refusée à le suivre dans cette voie ». Sans se fendre d'une quelconque explication — le courage ne réside-t-il pas quelquefois dans la fuite ? —, tout ce que la langue française compte de grammaires et d'ouvrages spécialisés prône l'accord. Sans doute pour la même raison que ci-dessus. Mais alors, pourquoi légitimer l'invariabilité quand « à », chez de nombreux écrivains, se voit remplacer par « de » ? « Ils s'étaient refusé de penser à autre chose », écrit Louis-Ferdinand Céline dans son légendaire Voyage au bout de la nuit. Parce que, avance Hanse, « se » est alors senti comme un complément d'objet indirect, le verbe redevenant ipso facto un accidentellement pronominal. Un argument qui n'a pas l'heur de convaincre l'auteur du Bon Usage, lequel, non sans malice, se demande « pourquoi l'infinitif serait plus un objet direct quand il est introduit par "de", alors que la phrase a le même sens dans les deux constructions »...
Pour vous remettre, un petit cordial ? Gageons que ce ne sera... de refus pour personne !
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