Ambassadeur de la langue française à l’ONU
Bruno Dewaele
à la superfinale d’orthographe
propos recueillis par Jean-Paul CHAVAUDRA
La Voix du Nord (toutes éditions)
2 avril 1992
Samedi 11 avril, vers 19 h sur Antenne 2, tous devant le petit écran : ambassadeur des Flandres, ambassadeur d’Hazebrouck, le premier champion en 1985 de la « dictée de Pivot », le « prof » de français du lycée des Flandres, écrivain nouvelliste, président d’A.L.P.HA., Bruno Dewaele, sera de la « Fête de la langue française » à New York, parmi les 240 candidats venus de 120 pays différents.
Pourquoi New York, pourquoi l’ONU, lui avons-nous demandé ?
— C’est vrai, cela relève presque de la provocation que cette volonté de promotion de la langue française en Amérique. Cela ressemble bien à Bernard Pivot : « Une dictée faite au monde entier », annonçait-il. Pour moi, la langue française n’est plus parlée dans le monde entier, soit, mais elle reste la plus amusante peut-être parce que la plus difficile.
Ce championnat international d’orthographe française, Bruno Dewaele le voit d’ailleurs plus comme une fête de la langue française que comme une compétition. Pour nous mettre dans l’ambiance, il nous présente le cadre, les candidats :
— Cela se déroulera dans la salle de conférences de l’assemblée générale des Nations unies, le 11 avril prochain, certainement le matin à 9 h 30, heure de New York. Chacun des quelque 120 pays représentés envoie deux concurrents, un senior et un junior, qui ont été sélectionnés dans leur pays d’origine fin 91. Et comme c’est l’apothéose, le bouquet pour la dernière édition de ce concours sous sa forme actuelle, Pivot a décidé d’inviter tous les champions, de 85 à 91, dans toutes les catégories, juniors, seniors (professionnels, amateurs, francophones et non francophones). Dans ma catégorie, nous serons neuf, les sept vainqueurs de 85 à 91 plus une junior passée senior depuis lors et la personne qui avait fait jeu égal avec la championne 91. Nous ne serons pas moins de trois à représenter le Nord-Pas-de-Calais. Thérèse Rohizki-Wronski, qui l’avait emporté chez les juniors en 1986, Mme Michèle Balembois, championne 91 et moi-même. Le soir, après la retransmission du concours, suivra un show à l’américaine avec, entre autres, Jacqueline Bisset et Robert Charlebois.
Quelles sont vos chances ?
— Au départ, je les trouve réduites, face à des candidats « affûtés », encore sous la pression, comme Mme Balembois qui a six ans de dictionnaire derrière elle. L’épreuve a beaucoup évolué depuis 85. Les candidats ont mis au point un entraînement spécifique. De plus, je n’ai pas, comme les candidats retraités, près de vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour mener à bien ma préparation ! Mais, quoi qu’il arrive, je ne serai pas déçu. J’aimerais, c’est sûr, que ce soit le Nord qui l’emporte, notre Nord qui a été mêlé de très près à l’histoire du championnat.
Avez-vous une petite idée du thème de la dictée ?
— Pivot a laissé entendre que ça porterait sur l’ONU : ça évoque des gratte-ciel (invariable), New York (sans trait d’union), États-Unis (avec celui-ci). Je pense que la dictée sera un peu plus facile que celle de 91 pour ne pas humilier les non-francophones mais les tests pour départager les vainqueurs, déjà très ardus habituellement, devraient être plus difficiles encore.
Votre préparation ?
— Je me couche avec mes dictionnaires... Je n’ai pas ouvert d’autres livres que des dictionnaires depuis un an et j’essaie ainsi de combler le handicap d’un candidat hors concours depuis 85. Aux dernières vacances, je me suis exilé pour travailler douze à treize heures par jour.
Une touche de nostalgie
Bruno Dewaele se souvient de sa professeur de français de 4e, à l’ancien collège des Flandres, Mme Lancri : « Elle nous avait donné à faire la célèbre dictée de Mérimée. J’étais déjà bon en orthographe, je me suis laissé prendre au jeu. J’ai un autre souvenir plus lointain encore. En 6e ou en 5e, j’ai fait une faute au mot New York que j’avais écrit “New Hork”. Pas de risque donc de commettre la faute à l’ONU ! »
Une dernière question : y a-t-il encore des zones d’ombre dans notre orthographe française pourtant si bien régentée ?
— Hélas oui. On écrit bourdonnement d’oreille sans « s » à oreille. Pourquoi faut-il écrire tintement d’oreilles ? Plus gênant, entre spécialistes, pas moyen de se départager sur « ce point de vue-là » avec trait d’union ou « ce point de vue là » sans trait d’union.
Laissant M. Dewaele sur ce doute, nous nous éloignons sur la pointe des pieds, sûrs, du moins, quel que soit son « score » (oh ! l’affreux mot étranger), qu’il sera un excellent trait d’union entre sa Flandre natale et la France (avec F majuscule), qui sera la vedette américaine de ce grand jour prochain.