Bruno Dewaele,
un parcours sans fautes

propos recueillis par Antoine PLATTEEL
Le Nord
décembre 2006

Il n’aime pas qu’on fasse une faute à son nom : Dewaele, sans tréma s’il vous plaît. Normal, c’est le champion du monde d’orthographe — l’unique... Vainqueur de la Dictée des Amériques en mars dernier, Bruno Dewaele met un terme à sa carrière de compétiteur, après 21 ans de bonnes et belles dictées. Mais il est toujours prof de français à Hazebrouck (dont il est originaire), et fervent défenseur de la langue française !

Le Nord : Avec vous, le Nord a l’unique champion du monde d’orthographe !

Bruno Dewaele : Oui... Il n’y a eu qu’un championnat du monde. En 1992, Bernard Pivot voulait finir en apothéose à New York. C’était impressionnant, ces 250 concurrents, venus de 112 pays, réunis dans la salle de l’Assemblée générale des Nations Unies. C’était une véritable superfinale, qui réunissait tous les champions de France... J’avais été le premier, en 1985. Cette édition inaugurale est d’ailleurs celle qui a rassemblé le plus de concurrents : 51 000 ! Les gens se sont rendu compte ensuite que l’orthographe est une discipline exigeante.

Le Nord : Vous êtes-vous beaucoup entraîné ?

B. D. : J’ai consacré à l’orthographe tous mes loisirs pendant l’année qui a précédé les championnats du monde. Je travaillais 13 heures par jour... J’ai relu les dicos, car c’est leur dernière édition qui fait foi. Finalement, j’ai eu la chance de faire un zéro faute, tant à la dictée qu’aux tests complémentaires. Je dis « chance » car il faut rester modeste en orthographe : tout se joue sur une vétille. À New York, j’ai failli perdre à cause d’un mot anodin, ancolie. Je me suis demandé s’il n’y avait pas un « h », conformément à la racine grecque kholê, « bile »...

Le Nord : Ce qui vous stimule, ce sont, comme on dit, les « mots à coucher dehors » ?

B. D. : Il m’a fallu, c’est vrai, apprendre à orthographier phytophthora — c’est un champignon — et chænichthys — c’est un poisson... Mais je préfère traquer les mots courants qu’on écrit mal : balade et ballade, prêt à et près de... Je suis aussi très sensible aux impropriétés, quand on emploie le verbe supporter au lieu de soutenir, réhabiliter au lieu de rénover ou restaurer, initier un projet alors que c’est une personne qu’on initie !

Le Nord : Vous continuez à concourir ?

B. D. : J’ai remporté en mars dernier la Dictée des Amériques, à Québec. Avec ce titre, je « raccroche les gants », si je puis dire : champion de boxe, ça doit rapporter plus et on est autrement respecté (rires) ! 21 ans de compétition, ça suffit ! D’autant que j’ai d’autres activités (1)... Cela dit, l’orthographe c’est presque devenu un TOC pour moi, un trouble obsessionnel compulsif. Je n’écris jamais une carte postale à la va-vite, sans me relire : je sais que mes correspondants ont le secret espoir de me prendre un jour ou l’autre en défaut.

Le Nord : Avez-vous eu le sentiment de participer à la défense de la langue française ?

B. D. : À ma modeste place, oui... Au Québec, j’ai été heureux de voir à quel point la langue française était adulée. Là-bas, ils se battent bec et ongles, on n’en fait pas autant en France ! Quand j’ai atterri à l’aéroport de Roissy, il y avait un énorme panneau où l’on pouvait lire : « The world is our guest. » (2) Si nous ne défendons pas notre langue, personne ne le fera à notre place ! Nous vivons une espèce de guerre linguistique. Quand on adopte une langue étrangère, on adopte la mentalité, les schémas de pensée du pays. Faire allégeance linguistique aux Anglo-Saxons, cela peut être dangereux !

Le Nord : Êtes-vous favorable à une réforme de l’orthographe ?

B. D. : Celle de 1990 est morte de sa belle mort... Nénuphar avec un « f », eczéma transformé en exéma, corolle avec un seul « l », la suppression de l’accent circonflexe, etc. : tout cela est passé à la trappe ! Je ne crois pas à une intervention étatique : c’est l’usage qui fait évoluer la langue, même si c’est très lent. Je suis favorable à la correction de certaines aberrations, mais pas à la simplification à tout prix. La règle d’accord des participes passés, c’est complexe, mais ça forme l’esprit.

Le Nord : L’orthographe, c’est formateur ?

B. D. : J’ai été heureux de voir que, pour le directeur de l’Institut Pasteur de Lille, Philippe Amouyel, l’orthographe est un point de repère, qu’elle est nécessaire pour transmettre les savoirs, pour inculquer le goût du travail bien fait et inciter à se relire. Qu’un scientifique le dise, c’est important. La rigueur, l’humilité qu’exige l’orthographe sont aussi des qualités de scientifique. L’apprentissage de l’orthographe participe du goût de l’effort, de l’éducation. Je ne suis pas un intégriste de l’orthographe, je crois simplement qu’elle aide à structurer sa pensée.

Le Nord : Les élèves sont-ils moins bien formés qu’auparavant ?

B. D. : Le niveau baisse dans ce domaine, tout le monde en convient. Sauf peut-être quelques théoriciens des sciences de l’éducation, à qui l’on a précisément confié notre Éducation nationale ! Il faut dire que l’effort est devenu suspect. La grammaire et l’orthographe ne font plus l’objet, dans l’enseignement d’aujourd’hui, d’une étude systématique. On ne les évoque plus qu’occasionnellement, au détour d’un texte. De ce fait, les bases ne sont plus maîtrisées et ce sont toutes les matières qui ont à en souffrir. Il est par exemple très difficile d’apprendre une langue étrangère quand on n’a pas assimilé le système du français.

Le Nord : Faudrait-il réintroduire la dictée à l’école ?

B. D. : Il faut reconnaître qu’elle a presque disparu. Elle a souffert d’un discrédit, on a trouvé qu’elle avait un côté cruel, sadique... Mais la dictée présentait au moins un avantage : elle était l’occasion d’un contact avec un auteur. On oublie aussi qu’elle peut être ludique. C’est le mérite de Bernard Pivot que d’avoir rappelé aux Français qu’on pouvait s’amuser avec l’orthographe. Dernier élément à prendre en considération : c’est une matière où l’on peut progresser très facilement !

 

(1) Professeur agrégé de lettres modernes, Bruno Dewaele enseigne au lycée des Flandres, à Hazebrouck. Avec Michèle Balembois et Claude Vanhaverbeke, autres champions nordistes, il a été membre du comité de pilotage des Dicos d’or scolaires du Nord de 1994 à 2004. Il tient une rubrique bimensuelle Langage à La Voix du Nord.

(2) « Le monde est notre invité. »