Paroles de champion

propos recueillis par Julien CHAVANES
L’Hebdo France 3
26 novembre 2005

Bruno Dewaele n’est pas un candidat comme les autres. Après avoir remporté la toute première dictée en 1985, il a récidivé en 1992 à l’ONU avec le seul et unique titre de champion du monde. Favori des observateurs, il tentera de parapher d’un ultime trophée son incroyable carrière.

La première dictée

« L’ambiance était beaucoup plus feutrée et confidentielle qu’elle ne l’a été par la suite. C’était une découverte pour tous. On avait la sensation de commencer une aventure. C’était sans doute la plus belle puisque chacun a concouru sur ses acquis, quasiment sans préparation. On ne savait pas encore comment s’y prendre. L’esprit était excellent, libre des affres de la compétition. Ce qui est étonnant, c’est que cette première édition a connu le plus fort taux de participation avec plus de 50 000 candidats. Et c’était payant à l’époque ! Il y a eu un véritable engouement populaire. Ça s’est nettement professionnalisé depuis, avec moins de participants mais davantage de préparation. Les gens se sont rendu compte que cela demandait beaucoup d’efforts et ça a sans doute découragé les bonnes volontés. »

Le titre de champion du monde à l’ONU

« Un cadre et des conditions extraordinaires. J’ai eu la chance de faire un zéro faute. C’était l’état de grâce, un miracle. Même si j’ai fourni un énorme travail pour me préparer. Dans les derniers temps, c’était du treize heures par jour ! C’était un événement qui dépassait le simple cadre de la dictée. Une ode à la francophonie avec près de 120 pays représentés et 250 candidats venus célébrer la langue française. Les Américains ne comprenaient pas ce que l’on venait faire là. C’était un beau symbole de ce que l’on appelle « l’exception culturelle française ». Cela restera le sommet des Dicos. Et un moment très fort en émotion. D’autant plus qu’il y a eu une alerte à la bombe au moment de notre arrivée au siège de l’ONU ! L’émission a failli ne pas se faire. Ma victoire a attiré les médias, mais ça n’a pas non plus changé ma vie. Je suis resté professeur de lettres. Un tas de récompenses ont dégringolé : Ordre national du Mérite, Arts et Lettres, Palmes académiques, médaille de la Ville, etc. On les accueille avec bienveillance évidemment, mais c’est seulement honorifique. Cela m’a aussi ouvert quelques portes puisque je suis devenu chroniqueur pour le quotidien de ma région. Une rubrique sur la langue française que je tiens depuis onze ans maintenant. Cela me permet de poursuivre mon combat pour le français. »

La préparation

« C’est essentiellement de la lecture. Les dictionnaires de référence pour commencer, le Larousse et le Robert. On ne peut pas apprendre 80 000 mots, mais les visualiser, c’est déjà une chose. Et puis il faut faire un maximum de dictées. Il faut aussi tenir compte des modifications orthographiques qui ont eu lieu depuis vingt ans et intégrer les nouveaux mots à son vocabulaire. Mais il n’y a pas de recette. On se dit qu’il doit y avoir un moyen rationnel de se préparer, mais personne ne l’a trouvé ! C’est très empirique. La différence aujourd’hui, c’est qu’il existe un très grand nombre de compétitions locales. Il y a donc énormément de textes disponibles. Je les récupère pour mon entraînement. Les Dicos d’or ont permis l’explosion de la discipline, même si cela existait déjà en Belgique. De nombreux clubs ont été créés dans tout le pays après 1985. D’ailleurs, beaucoup de candidats se préparent en sillonnant la France à la recherche d’épreuves locales. »

La superfinale

« C’est une épreuve très aléatoire et on ne peut pas occulter le facteur chance. Certains jours, on fait les bons choix, et d’autres non. Il faut également se méfier de l’écriture, dessiner les lettres et les accents de manière claire. On a beau travailler en pensant être récompensé, on sait très bien que cela se joue sur un coup de dés. Et ce sera encore plus vrai pour cette dernière joute, qui ne comptera que des champions. Il faudra être lucide et percer les pièges de sens concoctés par Pivot. Ce ne sera pas qu’une question d’orthographe pure. Après mes deux victoires, il serait moral que le titre couronne une autre tête que la mienne. Je veux seulement faire bonne figure et prouver que j’ai encore de beaux restes. Ce sera une fête, quoi qu’il arrive ! »