Champion du monde d’orthographe :
Bruno Dewaele
Pierre FAURE
Le Nord
avril 1994
Professeur de lettres modernes au lycée des Flandres à Hazebrouck (dont il est originaire), Bruno Dewaele a décroché le 11 avril 1992 à New York le titre de champion du monde d’orthographe.
Le Nord : Un championnat du monde d’orthographe, ça se passe comment ?
Bruno Dewaele : C’est très impressionnant. À cause de la majesté du lieu, d’abord : la grande salle du Palais des Nations unies, à New York. Et puis, il y a 112 pays représentés, 260 concurrents venus d’un peu partout dans le monde, de pays francophones ou non. Et quand vous montez à la tribune de l’ONU, un lieu extraordinaire et historique, pour recevoir le trophée des mains de Bernard Pivot, vous vous dites que ce sont des choses qui ne se produisent pas deux fois dans une vie.
Le Nord : Tout cela nécessite une importante préparation...
B. D. : J’ai pris très vite conscience que je ne pouvais m’y préparer en dilettante. Tout y passe : les week-ends, les vacances. Demandez plutôt à ma femme... Une année durant, de mars 91 à avril 92, j’y ai consacré tous mes loisirs. J’ai noirci de notes tout un dictionnaire, j’ai préparé des centaines de fiches sur les difficultés de la langue française. Pour les vacances scolaires qui ont précédé la compétition, j’ai passé dix-sept jours enfermé seul dans un appartement à Hardelot. Je mangeais, je dormais, et je faisais de l’orthographe quatorze heures par jour. Et cela jusqu’aux derniers instants, dans l’avion qui nous conduisait à New York !
Le Nord : Qu’est-ce qui vous poussait à accepter un tel travail de forçat ?
B. D. : J’ai fait cela pour le plaisir et, je l’avoue, parce que j’aime l’esprit de compétition. Certains assouvissent cela avec le sport, moi c’est avec l’orthographe. J’y ai trouvé des « sensations », comme dirait Noah !
Le Nord : Question que beaucoup d’élèves se posent... La « bosse » de l’orthographe, ça existe ?
B. D. : D’une manière générale, au départ, il existe sans doute quelques dispositions : un goût pour la langue, une aptitude à « photographier » les mots. Mais je voudrais dire à ceux qui se croient « mauvais » que l’orthographe est une discipline dans laquelle un travail sérieux et méthodique s’accompagne rapidement de résultats.
Le Nord : En la matière, vous pensez comme beaucoup que le niveau général baisse ?
B. D. : J’aurais plutôt tendance à penser ainsi. Ce n’est pas fameux, à cause de l’audiovisuel entre autres, mais je ne veux pas dramatiser la situation. Je ne fais pas une fixation sur l’orthographe en tant que telle, je m’intéresse surtout à ce qu’elle révèle. Pour moi, c’est une école de rigueur et d’humilité. S’obliger à être rigoureux en orthographe, c’est apprendre à être rigoureux en tout domaine, c’est une attitude saine. Le réflexe de la recherche dans le dictionnaire, c’est très formateur, on ne le pratique plus assez. Tout champion que je suis, je le consulte sans doute plus que quiconque...
Le Nord : Avec vous, c’est aussi le Nord qui est champion du monde...
B. D. : (sourire) Oui, et Hazebrouck en particulier ! Je suis très attaché à mon département, et être Hazebrouckois a beaucoup compté dans mes motivations. J’étais très heureux de montrer que nous n’étions pas cette « réserve d’Indiens » que l’on a pu décrire dans les années 70, lors de l’affaire du juge Ceccaldi. Non, nous ne sommes pas des espèces de « parents pauvres » culturels. Je revendique haut et fort mes origines, et me suis senti à New York un ambassadeur du Nord. Et s’il existe beaucoup de champions d’orthographe chez nous (voyez Mme Balembois, la récente gagnante des « Dicos d’or » de France 3), c’est sans doute que la rigueur et la ténacité nécessaires à cet exercice sont bien des qualités de nordistes !