Demain la mer sera belle

Denise Duong, 1987

Avant que la mer ne promît d'être belle, Denise Duong aimait à se présenter comme un « écrivain de l'ombre ». Égoïstement, nous en venions à prier pour qu'elle le restât : le plaisir n'est-il pas plus vif quand on est l'un des seuls à le goûter, et que l'on en sait les autres frustrés ?

Encore ne s'agissait-il là que d'une pénombre. Car qui ne connaissait déjà Denise Duong dans le microcosme des académies littéraires ? D'Arras à Bordeaux, d'Agen à Paris, de Charleville à Biscarrosse, pas un concours qu'elle n'ait remporté ! Il faut ici renoncer à énumérer ses titres de gloire : une nouvelle n'y suffirait pas... Nul doute, en tout cas, que pour nombre de ses concurrents condamnés à la portion congrue des accessits, cette diable de bonne femme ne soit apparue, plus d'une fois, comme un nouveau bourreau de Béthune !

Mais voilà que le talent de Denise Duong éclate au grand jour. Sachons nous résigner de bonne grâce à cette abolition de nos privilèges et convenons que, désormais, chacun comprendra mieux comment cette mère de famille autodidacte a pu mettre à la raison des générations de linguistes distingués et de profs aux dents longues...

Au commencement était le Verbe. Ce sont nos théologiens qui l'affirment. Mais c'est Denise Duong qui, la première, l'a compris. On reste confondu devant ce vocabulaire, étendu sans être recherché, rare sans être précieux, riche sans que jamais cette richesse devienne une insulte à notre pauvreté. Car ici le Verbe se fait chair : il n'est pas le fruit de cette érudition, aussi vaine que gratuite, qui encombre trop souvent les écrits du médiocre. Loin d'être une pièce rapportée, il fait partie intégrante de la nouvelle, il en est la substantifique moelle.

Denise Duong, manifestement, aime les mots. Et c'est un amour partagé.

N'allez pas croire pour autant que l'auteur s'endorme sur les lauriers de cette perfection formelle ! Pour pratiquer aussi les vers — la mâtine y excelle tout autant —, Denise Duong sait mieux que quiconque les pièges du Parnasse : ses intrigues sont tout sauf des prétextes et une imagination débordante la préserve pour longtemps des arguties de l'Art pour l'Art.

J'admire cette fécondité. Elle est l'apanage des grands.

Plus encore cette facilité, cette apparente désinvolture qui émane de l'ensemble. N'est-ce pas le propre des œuvres achevées que de laisser croire au lecteur, fût-ce bien à tort, qu'il eût pu en faire autant ? le premier devoir de l'écrivain que de faire disparaître toute trace de travail, d'effacer, comme le recommandait Prévert, « les barreaux de la cage », après y avoir attiré l'oiseau ?

Dans cette cage dorée nous nous laisserons, pour notre part, enfermer de plein gré.

Car si la publication de ce premier livre est une date importante pour Denise Duong, c'en est une également, à n'en pas douter, pour la nouvelle.