Des mots et des outils
Bernard PIVOT et Micheline SOMMANT
superfinale au Collège de France
Dicos d’or 2005
Agrégé de grammaire, je sais démonter les phrases, décortiquer la syntaxe, jongler avec les hypallages hardies et les tmèses incongrues. Mais, de mes dix doigts, je suis d’une maladresse inouïe. Un manche ! Et dire que de mon nom j’ai signé — ô ironique langue française ! — des manuels...
Enfant, à peine m’essayais-je, dans notre jardinet de banlieue, à couper des aches, des brizes et des éclaires que mon sang coulait sur-le-champ. Recousais-je un bouton ? Un moustique excédant n’eût pas mieux piqué mes phalangettes. Qu’il m’en a cuit de m’être risqué en cuisine pour y préparer des bonnottes, des cappellettis et des kouign-amann ! Réellement tout feu tout flamme, je dus un jour partir goûter la cuisine de l’hôpital.
Je sais écrire, sans faute aucune, les noms de quantité d’outils et d’instruments : les hies des paveurs, les asseaux des couvreurs, les besaiguës acérées des charpentiers, les écangs des chanvriers, les turluttes des pêcheurs. Mais, aïe aïe aïe ! aurais-je dû m’en servir, combien de blessures mes impairs m’eussent-ils causées ?
Danger public ! Avec moi, jamais la bonne pioche ! Je démens toutefois être responsable, par mes coups, de l’éparpillement des floes polaires.
Avec les mots, au contraire, rien à craindre. Étymologiste, philologue et mots-croisiste, sans le moindre dommage j’épluche, je taille des apocopes osées, je couds, j’accommode. Aux adjectifs alléchants je salive, aux mots sexuels je vibre. Homo sapiens, j’ai évolué intello ; néanmoins, pour la dextérité, l’homme de Cro-Magnon m’en eût remontré !
TESTS
1) Une Dinannaise et un Chinonais, férus d’activités rétro, s’étaient rencontrés dans un sit-in, et ne s’étaient plus quittés. Aujourd’hui, ils mangent des kumquats et des raisinets, se mitonnent aussi des koulibiacs. Ils dansent ensemble la redowa. Ils tracent des patrons dans de la singalette et réalisent des smocks sur du surah. Mais surtout ils collectionnent les vieilles monnaies : des guldens, des thalers, des rixdales, des besants ou des sapèques...
2) Cet orchestre était un vrai méli-mélo : on y trouvait un piano et une diaule, des violons et un sarrussophone, un tabla, une kora et deux shamisens empoussiérés, un glockenspiel, ainsi que deux synthés très mode. Le programme annonçait des lieder de Schubert, des motets de Bach, des czardas de Liszt, de même que des passe-pieds, des ranz et quelques morceaux créés par des groupes raï. Sacrebleu ! qui eût cru que ces œuvres pussent se jouer sans aucune dissonance ?
3) Ce passionné de plantes a composé un jardin très éclectique. Dans ses allées, on croise, ici, des morelles et d’étranges sarracénies ; là, des potentilles et des carex, ou laîches ; là encore, des symphorines, du ray-grass et des ramies ; là enfin, des papilionacées, des silènes rosés, des sisals racés et quelques acores que cachent ses bien-aimés kaoliangs.
N.B. Bruno Dewaele a réalisé un sans-faute à la dictée comme aux deux premiers tests. Il avait auparavant répondu correctement à sept des huit questions du QCM, tout comme son vainqueur du jour. Ce n’est qu’à la fin du troisième test qu’il a préféré, au possessif, le démonstratif expressif. Il s’en explique par ailleurs (voir ci-dessus rubrique Langage, 29 novembre 2005, cliquer sur « Complément »).