Un tournage mouvementé
Micheline SOMMANT
demi-finale
championnat de France 1985
Les quelque trente à quarante comédiens qui s’étaient fait appeler de pseudonymes bizarroïdes et les quelques techniciens qui avaient disputé à l’envi à des rivaux renommés la chance d’être intégrés à cette équipe haut de gamme étaient prêts à tourner, près de leur metteur en scène favori, la vingt et unième scène du film.
Bien que celle-ci — d’une tension aiguë — eût lieu au moment où le héros atteignait l’apogée triomphal de son épopée et dût se dérouler en été, survint un événement. Un froid subit s’abattit, et, comme la pluie s’était mise à tomber dru, on dut s’arrêter afin que la caméra ne ruisselât point, et attendre que cette vague s’achevât. Tout, en effet, s’en allait à vau-l’eau : en l’occurrence, le décor en carton-pâte, les roches arénacées, marmoréennes, les aéronefs loués pour l’occasion, le carcan d’un satyre boiteux qui, dans cette scène, eût dû souffrir le martyre, le sceptre éburnéen du héros et la perruque auburn de sa dulcinée.
Emportés par les eaux torrentielles, des couvre-chefs drolatiques, des costumes rouge-brun, jaune doré ou feuille-morte, des tentures fripées imitant de vieux brocarts à ramages, une kyrielle d’objets hétéroclites roulaient dans les égouts. Des plates-bandes d’amaryllis et de delphiniums, ainsi que des haies de lauriers-cerises et de lauriers-tins et des groupes de salsepareilles, formaient déjà un amoncellement psychédélique... Seule échappatoire à ce cauchemar : ce fut la tentative du réalisateur qui escalada l’unique échelle rescapée et, ainsi exhaussé, d’une voix suraiguë, parla ex cathedra, priant pour que ce cyclone s’arrêtât. Le soir même, ô miracle ! pluie, vent et froid s’étaient calmés. Demeuraient toutefois les dégâts, incommensurables !
Quoiqu’il leur ait été des plus pénible de patauger ainsi, les techniciens et les comédiens même s’étaient ri de cette catastrophe, et, loin de s’entre-déchirer, s’étaient évertués et plu à reconstituer de leurs mains les décors.
N.B. Parce qu’il avait cru bon de laisser laurier-cerise, laurier-tin et salsepareille au singulier (Bernard Pivot n’ayant pas fait ressortir le « s » dans la liaison lauriers-cerises et), Bruno Dewaele s’est d’abord vu compter cinq fautes. S’appuyant sur une citation proposée par Littré, qui faisait état de « haies de citronnier », il contesta et la faute et le barème appliqué, avant d’obtenir gain de cause sur ce dernier et d'arracher sa qualification pour la finale.