ON EN PARLE

La grande substitution

lire:
Numéro 530
juin 2024

S’il est un verbe que l’on comprend mieux qu’on ne le construit, c’est bien substituer. Chacun en fait — et avec raison, il va sans dire — le digne synonyme de remplacer. Pour ce qui est de s’en servir à bon escient, c’est une autre paire de manches, ce que nous confirme un coup d’œil sur la Toile.

N’y découvre-t-on pas en effet ce genre de contrevérité : « On a tendance à substituer meilleur à plus bon, mais cette substitution est incorrecte » ? Voilà qui nous semble pourtant dans le droit fil de ce que l’on nous apprenait naguère sur les bancs de l’école, non ? Le peu dont on se souvienne aujourd’hui serait-il promis à la casse, lui aussi ?

Que nenni, rassurez-vous ! Ce meilleur-là est toujours d’actualité, quand l’horrible « plus bon » reste, jusqu’à nouvel ordre du moins, voué aux gémonies. C’est seulement que le rédacteur de cette énormité s’est emmêlé les crayons au point d’énoncer l’exact contraire de ce qu’il pensait en réalité. Du moins, on l’espère de tout cœur !

Faut-il rappeler en effet que si l’on remplace bien du vieux par du neuf (ou, en principe, du fautif par du correct), on substitue le neuf au vieux (et le correct au fautif). Autrement dit, quand le sens resterait évidemment le même, l’ordre des éléments se trouve inversé quand on passe d’un verbe à l’autre : on remplace remplacer par substituer, mais on substitue substituer à remplacer ! Avec remplacer, la chronologie est respectée, l’ancien précédant le nouveau. Avec substituer, la prime va à la nouveauté, laquelle arrive la première, au détriment d’un passé relégué en fin de phrase. Pour être tout à fait clair, le chef de l’État a remplacé Élisabeth Borne par Gabriel Attal, mais il a substitué Gabriel Attal à Élisabeth Borne. Ne pas y prendre garde, c’est aller droit au contresens, lequel ne saute aux yeux que quand on maîtrise le contexte. C’est loin d’être toujours le cas, hélas ! en matière d’information.

Que dire maintenant de la phrase suivante, toujours extraite de l’article que nous évoquions ci-dessus : « Plus bon, plus bonne, plus bons ou plus bonnes ne peuvent substituer meilleur, meilleure, meilleurs ou meilleures » ? que, cette fois, elle est grammaticalement incorrecte. Pour qu’elle remplît son office — et qu’elle eût un sens déjà ! —, il aurait fallu opter, soit pour remplacer, soit pour se substituer à.

Avec de tels amis pour nous remettre sur le chemin de l’orthodoxie syntaxique, on aura compris que l’on n’a plus besoin d’ennemis ! En la matière, on ne saurait trop enjoindre la prudence au lecteur (et non le lecteur à la prudence). Autre malentendu, on l’a vu récemment, que l’on ne rencontre que trop souvent dans les colonnes de notre presse écrite, et qui repose sur le même malentendu originel : signifier la même chose, ce n’est pas nécessairement se construire de la même façon !