ON EN PARLE

Sachons sacher !

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Numéro 527
mars 2024

Point besoin de passer chez Sosh : il suffit d’écouter, aux étranges lucarnes, Gilles-William Goldnadel, qui en use une fois par émission, pour progresser dans le maniement de ce tour à nul autre pareil. Plus curieux, en effet, que ce « Je ne sache pas que… » au sein d’une langue française qui, en matière de bizarreries, ne donne pourtant pas sa part aux chiens, tu meurs !

D’abord, un subjonctif dans une principale, ça ne court pas les mails (nous voulons parler des allées bordées d’arbres, mais l’image s’accommoderait tout autant des courriels)… Ensuite, vous en chercherez, des expressions qui, comme celle-ci, ne se conçoivent qu’à la première personne du singulier ! Quelques francs-tireurs ont bien testé, via l’indéfini, la troisième (« On ne sache pas que M. de Boutiaguine eût besoin de se faire masser ! », relève Grevisse dans La Semaine sainte d’Aragon) ; voire la première du pluriel (déniche le même sous la plume du fameux Lucien Febvre : « La remarque ne nous paraît pas superflue. Nous ne sachions pas qu’on l’ait jamais faite en ces termes. » Mais tout ça sonne tellement comme un solécisme de Georges Marchais revu par Thierry Le Luron que l’on serait tenté de fuir à toutes jambes.

C’est tellement vrai que le grand Victor Hugo n’aurait pas hésité, toujours selon les auteurs du Bon Usage, à opter pour une forme davantage calquée sur la première personne : « Nous ne sachons pas qu’on ait fait des mots nouveaux ! » Barbarisme difficilement défendable, comme le note André Goosse ? Simple archaïsme, au dire de son prédécesseur, qui remarquait dans une édition antérieure que cette variante avait jadis eu cours ?

En tout cas, la tournure (est-il bien utile de le signaler dès lors que Me Goldnadel l’a visiblement adoubée ?) est de celles qu’un autre Maître, grand éleveur de nourrains devant l’Éternel, n’eût pas rechigné à juger « de bon aloi ». À elle seule, elle vous décernerait presque un brevet de langage recherché, c’est dire !

Nos grammairiens s’accordent à supposer qu’elle doit beaucoup à la locution plus courante « que je sache », laquelle instille une goutte de réserve dans ce qui vient d’être dit. On retrouve là ce qui a toujours été la vocation du subjonctif, à savoir d’atténuer le propos, en faisant en sorte qu’il ne soit pas pris au pied de la lettre. En ce sens, notre « je ne sache pas » fleure bon l’esthétique classique et son souci du juste milieu, dont la litote reste le plus sûr étendard.

Tout au plus nous hasarderons-nous à remarquer qu’au fil des ans la formule s’est teintée d’ironie. Quand un Goldnadel susurre quelque chose comme « Je ne sache pas que le service public s’en soit fait l’écho », il s’agit moins d’une précaution de langage que d’un euphémisme persifleur. On se dit là que, pour peu qu’il l’entreprenne, il devrait être encore plus facile à un grammairien de faire aimer le subjonctif qu’à la SNCF le train !