ON EN PARLE

La face cachée de la féminisation

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Numéro 522
septembre 2023

Le temps n'est plus à la plaisanterie facile sur les cafetières et les entraîneuses. L'Académie elle-même, après avoir longtemps ferraillé dans l'ombre de ses perpétuels Druon et Carrère d'Encausse, a fini par remettre au fourreau une épée que l'on a toujours sue symbolique. Il subsiste bien, ici et là, quelques réserves de détail, mais, si le cœur y est encore, la tête n'y est déjà plus : la féminisation des noms de métiers et de fonctions est entrée dans les mœurs, au sens propre comme au figuré. « La maire de Lille » ne restera sans doute pas, dans l'histoire de la langue française, comme ce qu'elle aura produit de plus élégant, surtout dans un pays qui avait élevé au rang d'icône une Mère Denis encline à jouer les vedettes (ou de sa Vedette ?). Mais que pèse encore l'élégance dans un monde qui privilégie le fond au point, parfois, de vouloir le toucher ?

Au vrai, le combat s'est déplacé. Il s'agirait bien plutôt, aujourd'hui, de veiller à ce que l'injustice que l'on faisait jadis aux femmes ne soit pas remplacée par l'anarchie. Car, de même qu'il faut savoir terminer une grève (c'est un connaisseur qui l'affirmait), il faut savoir borner ses revendications. Et, de ce point de vue, il suffit d'un regard sur les millésimes 2024 de Larousse et de Robert pour constater que nous sommes loin du compte.

Le problème, pour nos lexicographes, est en effet de savoir jusqu'où pousser le curseur. Puisqu'en l'espèce le maître mot fut et reste celui de « visibilité » — celle, vous l'avez compris, qu'il faut assurer toujours et en tout lieu à une gent féminine en plein essor —, grande est la tentation de ne plus s'en tenir au seul terrain des professions et des titres : partout où le sexe peut diviser, il importe qu'il règne. À ce nouveau principe, l'Académie n'est d'ailleurs pas la dernière à apporter sa pierre : elle vient de faire d'iconoclaste, ce « briseur d'images » jusque-là masculin, un nom des deux genres. Sans doute pour permettre à chacun d'affirmer que George Sand était une fieffée iconoclaste : de la sorte, il ne sera plus dit que ces dames ne cassent rien !

On aura deviné que la tendance est plus marquée encore dans nos dictionnaires usuels, auxquels il importe plus que tout d'être de leur temps : c'est ainsi que l'on a vu éclore chez Larousse (mais pas chez Robert) une boat people, une contralto et une… bipède, chez Robert (mais pas chez Larousse) une alter ego, une boute-en-train et une… quadrupède ! Gageons que l'usager saurait gré aux susdits, sinon d'accorder leurs violons (n'allons pas rêver !), du moins de réfléchir, chacun de son côté, à la pertinence de leurs critères. Voilà qui, nous avons la faiblesse de le penser, rendrait davantage service à ceux de leurs acheteurs qui accordent plus de prix à la cohérence qu'à l'émergence — pour le moins anecdotique, parfois — de certains mots nouveaux…