ON EN PARLE
Quand la leçon vient du fromage...
Numéro 517
avril 2023
On le sait, la publicité, par le biais de slogans plus soucieux d'attirer l'attention que de respecter la langue, se révèle rarement bonne conseillère en matière de grammaire et d'orthographe. C'est le fromage blanc Calin qui, en échange d'un cœur surdimensionné sur son « i », se voit sucrer son accent circonflexe sur le « a ». C'est le mot poème, à l'inverse, qui se coiffe du même chapeau quand il devient un parfum, à seule fin de rappeler que la maison mère, Lancôme, en porte un. C'est encore l'eau minérale Cristaline qui doit se trouver suffisamment limpide pour pouvoir se passer du second « l » que réclament les dictionnaires…
Il est pourtant des exceptions (rares) qui viennent, des plus heureusement, infirmer la règle. Nous pensons notamment à ce fromage qui, fort d'une paronymie opportune, n'hésite pas à se juger « autrement bon ». D'aucuns se retiendront de pavoiser trop vite, l'absence d'un plus dans la foulée d'autrement devant peut-être moins, ici, à une réelle volonté de sacrifier à la norme grammaticale qu'à la répulsion instinctive que suscite un « plus bon ». Mais peut-on encore, dans ce domaine, se montrer plus royaliste que le roi ?
La logique voudrait en effet que, quand nous prend l'envie de substituer l'adverbe autrement au plutôt plat plus (pas sûr que cette allitération… plaise !), on ne fît pas revenir aussitôt par la fenêtre celui que l'on avait congédié par la porte. Prétendre aujourd'hui que Giscard était « autrement intelligent » que nombre de ses successeurs, pourquoi pas ? On peut même reconnaître dans ce tour ce que Maître Capello aurait appelé une litote de bon aloi. Mais enfoncer le clou en le trouvant « autrement plus intelligent », ce serait, pour beaucoup, donner tête baissée dans la redondance… ou la flagornerie !
La chose agaçait déjà André Gide, lequel écrivait dans son Journal, en 1941 : « Par contre (oui, je sais bien que l'on dénonce également l'emploi abusif de par contre), je ne me souviens pas d'avoir jamais vu relever l'usage qui tend à s'introduire de autrement suivi de plus, qui me paraît "autrement plus déplorable". »
On nous objectera que Gide, c'était avant, et que les dictionnaires d'aujourd'hui, Petit Larousse illustré en tête, ont depuis longtemps renoncé à enfourcher leurs rossinantes pour se ruer sur ces moulins-là. Ont d'ailleurs de nos jours gagné leurs lettres de noblesse des pléonasmes… autrement répréhensibles ! Il n'est pourtant pas interdit, au nom d'une économie de moyens dont notre langage a visiblement perdu l'habitude, d'user d'un mot et d'un seul chaque fois qu'il suffit à la tâche.
Et puis, quel symbole que ce pays outragé, brisé, martyrisé dans sa langue, mais finalement racheté par l'une des deux cent quarante-six variétés de fromage qui, pour le général de Gaulle en personne, constituaient la France !