ON EN PARLE
Tôt ou tard ?
Numéro 513
novembre 2022
Il est des expressions sur le passage desquelles mieux vaut ne pas se retourner, de peur d'être confondu par leur peu de logique. Et ce, quand bien même elles recevraient des autorités linguistiques un blanc-seing en bonne et due forme.
S'il n'en fallait qu'un exemple, ce serait le tour « pas plus tard qu'hier ». Le Petit Robert le reprend sans pincettes aucunes, avant d'en donner une définition qui, au demeurant, ne surprendra pas grand monde : « récemment ». Seuls des esprits chagrins pourraient s'étonner que la chose passât comme une lettre à la poste (un peu plus vite, même !) alors que l'œcuménique Grevisse y voit lui-même une « extension de sens abusive ».
Où le bât blesse-t-il donc ? On ne trouvera rien à redire à l'emploi de cette tournure dès lors qu'on la situe dans le futur. Si l'on écrit qu'Emmanuel Macron entend revenir sur la réforme des retraites « pas plus tard qu'au début de l'année 2023 », tout va pour le mieux dans le plus logique des mondes : la locution signifie alors « dans peu de temps ». « Avant que les syndicats n'aient eu le loisir de s'organiser », si l'on tient à contextualiser davantage. Rien là qui choque ni qui attente à cette cohérence réputée bien française.
Il n'en va pas vraiment de même quand, comme c'est souvent le cas, on transpose ladite tournure dans le passé, avec le sens que lui reconnaît ci-dessus Robert. Que penser en effet, sur le seul plan de la logique, d'une phrase comme « Le chef de l'État a apporté son soutien à l'éolien pas plus tard qu'en septembre, en allant inaugurer le parc offshore (berk !) de Saint-Nazaire » ? Si cela avait dû se faire « plus tard », par exemple en octobre, c'eût été pourtant plus récent encore, non ?
À l'évidence, l'auteur de ladite phrase voulait souligner qu'il n'était pas besoin de remonter plus loin dans le temps pour situer la visite présidentielle. Le hic, c'est que, plus on remonte dans le temps et plus… tôt on se retrouve ! User de « pas plus tard que » dans un contexte de passé débouche sur un authentique contresens, de ceux qui vous font soutenir l'exact contraire de ce que vous entendiez exprimer. À rapprocher du possible et de l'« inimaginable », de notre stupide admiration pour le benêt qui « tire les marrons du feu », ou encore, record incontesté en la matière, de la précaution oratoire que nous croyons prendre en faisant précéder une révélation du pourtant vexant « Vous n'êtes pas sans ignorer… »
L'expression n'en est pas moins entrée dans nos mœurs langagières, et même, on l'a vu, dans les colonnes de nos dictionnaires ! Trop tard, donc, pour imposer tôt, à moins que l'on ne veuille entamer une collection d'yeux écarquillés. Aux cartésiens inconditionnels, il ne reste donc plus qu'à enfouir le tour scélérat dans leur poche, leur mouchoir par-dessus…