ON EN PARLE
Réglez vos montres !
Numéro 508
juin 2022
S'il fallait une preuve de l'influence qu'a le dictionnaire sur nos façons de penser et d'agir, la voici.
Soit cette phrase qu'aurait pu écrire un journaliste au sortir du récent débat de second tour : « Durant près de trois heures, le président sortant a fait montre de sa connaissance des dossiers. » Pour le Petit Larousse, la messe semble dite et vous n'aviez plus qu'à glisser un bulletin MACRON dans l'urne. Le tour faire montre de y est en effet décrit comme le simple équivalent de « faire preuve de ». Rien que de positif, donc, à tirer du jugement dudit journaliste !
Chez Robert, le son de cloche est sensiblement différent. On y retrouve certes l'acception susdite (« Montrer au grand jour, révéler »), illustrée par un exemple au-dessus de tout soupçon (Faire montre de compréhension) et un renvoi, là encore, à « faire preuve de ». Mais la chose se trouve cette fois noyée dans un tourbillon de connotations sentant autrement le soufre, et bien propres à vous faire préférer, dans l'isoloir, un bulletin LE PEN !
L'enfant chéri du regretté Alain Rey commence — sous l'enseigne du « vieilli » et du « littéraire », il est vrai — par nous rappeler que la montre est l'« action de mettre en vue ». Suit une trâlée de vocables présentés comme des mots de sens très proche : démonstration, étalage, exhibition, parade. Pour le cas où la gradation ascendante n'y suffirait pas, une phrase de Renan joue la cerise sur le gâteau : « Il n'avait aucune affectation extérieure, ni montre d'austérité ». Ça commence à sentir le tartuffe, non ? D'où le premier sens proposé pour la locution faire montre de : « montrer avec affectation, faire parade », ainsi qu'un renvoi non moins explicite aux verbes étaler, exhiber. Que demande un peuple qui n'est que trop enclin à relever chez le locataire de l'Élysée, au moins autant que sa compétence, une propension à l'autosatisfaction, pour ne pas dire, horresco referens, à l'arrogance ?
On va faire simple : quiconque aurait interrogé son dictionnaire pour mieux interpréter le propos de notre gazetier serait sorti du Larousse convaincu que M. Macron était quelqu'un d'intelligent, du Robert qu'il lui importait surtout d'en persuader l'électeur. Loin de nous l'idée de critiquer, chacun étant ici dans son rôle. Le dictionnaire encyclopédique qu'est Larousse fait avec la place qu'il a et va à l'essentiel : le Trésor de la langue française ne souligne-t-il pas de son côté que « faire montre de tend à perdre son sens péjoratif » ? Pour Robert, dictionnaire de langue par nature soucieux de retracer l'histoire du mot, on ne peut vivre aujourd'hui qu'en se souvenant d'hier.
On aura compris que, le risque étant ici d'embrouiller en compliquant, là de schématiser en simplifiant, le mieux est encore, pour se comporter en citoyen avisé, de posséder et de consulter l'un et l'autre !