ON EN PARLE

Pitié pour nos verbes !

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Numéro 499
octobre 2021

Au commencement était le Verbe, nous disent les Écritures. Celui d'aujourd'hui, il est vrai déchu de sa majuscule, semble surtout au commencement... de la fin ! C'est que les temps sont durs pour la catégorie reine de notre grammaire : pas une semaine sans que l'infortuné se voie retourner comme un gant par des usagers au mieux négligents, au pis indélicats. Le roi de la phrase est devenu dindon de la farce.

Regardez Messi, dont on aura tout vécu à la fin de cet été, le rire (ici, c'est Paris) comme les larmes (le Barça, c'était avant). Naguère encore, il eût signé dans la capitale. À la rigueur, on l'y eût fait signer. Aujourd'hui, c'est le PSG qui le signe. Étonnant, non ? Alors que, par le passé, on signait quelque chose ou on signait tout court, désormais, on « signe quelqu'un ». Il ne s'agit plus même d'une faute puisque nos dictionnaires cautionnent, sans se boucher le nez, ce renversement copernicien : « prendre sous contrat un artiste, partic. un musicien », nous expliquent presque en chœur Larousse et Robert (et n'allez pas dire au footeux du coin que Messi n'est pas un artiste si vous ne voulez pas recevoir à la figure une bouteille, pas forcément en plastique). Vous remarquerez que, dans ce sens, notre engager aurait pu faire l'affaire, mais chut ! Bien entendu, n'allez pas chercher d'explication de l'autre côté du Channel, vous risqueriez fort de la trouver : là-bas, il y a belle lurette que to sign signifie : « to officially accept a sportsplayer or performer (en français, « performeur ») as a member of a team or company ». Capito ? Pardon... understood ?

Un autre exemple, non moins déconcertant : la presse nous a révélé que les vaccinés à leur corps défendant s'évanouissaient parfois « avant d'être injectés ». Là encore, l'auteur de ces lignes en était resté, dans son ignorance crasse, à l'époque où l'on injectait quelque chose à quelqu'un (et non pas « quelqu'un de quelque chose »). Mais peut-être lui a-t-on menti ? Cette fois, les dictionnaires ne pipent mot (les français, du moins, car leurs homologues britanniques font état du synonyme to vaccinate). Encore un mauvais coup d'Albion ? Dans ce cas, il faudrait profiter de l'occasion pour rappeler que la pire anglomanie n'est pas celle qui se voit, mais bel et bien celle qui, rampante, œuvre à bas bruit, s'immisce dans nos habitudes langagières pour les corrompre de façon larvée.

Un dernier pour la route : notre petit-fils s'est vu offrir récemment un jeu qui répond au joli nom de Gagne ton papa ! Volonté louable de ressusciter un tour depuis longtemps tombé en désuétude ou détestable alignement sur notre manie contemporaine de « jouer quelqu'un » plutôt que « contre quelqu'un » ? Bats ton papa ! eût certainement été plus orthodoxe. Mais, dans le climat de violence actuel, on n'est jamais trop prudent.