ON EN PARLE

2022, le millésime « Dicovid »

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Numéro 499
septembre 2021

À quelque chose pandémie aura été bonne : nos dictionnaires se sont renouvelés comme jamais. Dame ! à situation sanitaire exceptionnelle, lexique d'exception : une kyrielle de sens et de mots nouveaux se sont invités, tant chez Larousse que chez Robert. Et tant pis si, pas plus que pour les vaccins, on ne dispose du recul nécessaire pour juger de la pertinence de leur intronisation. Faut-il rappeler ici, près de quatre siècles après Pascal, que la grandeur de l'homme (la seule, au fond) est d'être un roseau pensant : ce qui fait notre différence au sein de la création, c'est de savoir (et donc de pouvoir nommer) ce qui nous tue...

Place, donc, au patient zéro, au cluster et au click and collect (ainsi qu'à leurs versions linguistiquement correctes, le foyer de contagion et le cliqué-retiré), au taux de létalité (le distinguer du taux de mortalité ne devrait pas être la mort), aux virus aéroportés et manuportés, à la septaine et à la quatorzaine, aux confinement, déconfinement (et reconfinement si affinités) affranchis du seul contexte nucléaire, à une distanciation qui n'a plus rien de brechtien, à une jauge qui abandonne le navire pour les salles de théâtre. On en passe, et pas toujours des meilleurs.

Fait curieux : ce tsunami linguistique n'aura touché que les noms communs. On ne trouve pas trace, côté noms propres, des Delfraissy, Caumes, Blachier, Hill et autres « sachants » qui ont fait les beaux soirs de l'information continue ces dix-huit derniers mois. Le professeur Raoult lui-même, vedette incontestée (et non moins contestée) de cette période troublée, n'aura pu forcer les portes du saint des saints lexicographique. Gageons que ce sera pour bientôt, on ne peut être au four et au moulin !

Cela dit, la déception majeure de ce millésime restera sans conteste l'incapacité de nos frères ennemis à nous fixer sur le sexe du mal. On sait le débat vif entre l'usage (nettement porté vers le masculin) et les recommandations tardives d'une Académie moins unanime qu'elle n'a voulu le laisser paraître, en faveur du féminin cette fois. On espérait que nos frères siamois trancheraient pour parler, eux, d'une seule voix. Eh bien, c'est raté : « masculin ou féminin » pour Robert, « féminin ou masculin » selon Larousse. De l'art de tout autoriser en continuant de n'être point d'accord ! Il est vrai qu'il n'était pas besoin de ce message subliminal. Quand Larousse use de la majuscule qui sied à l'acronyme, Robert opte pour la minuscule propre au nom commun. Les drôles ne se retrouvent que pour mettre un trait d'union devant 19. Pas de chance, l'Académie écrit covid 19 !...

Si l'on n'a toujours pas compris, après cela, que la lexicographie n'a rien d'une science exacte, c'est à désespérer. Finalement, c'est comme on le sent. Mais si, effet du coronavirus, on ne sent plus rien ?