ON EN PARLE
Pataquès, du cuir au simili
Numéro 490
novembre 2020
On vit une époque formidable : n'arrive-t-il pas que, d'un malheureux pataquès, on fasse tout un... pataquès ? À la lecture d'une telle phrase, plus d'un se demandera si notre langue a encore quelque chose à voir avec celle d'un Boileau pour qui, on s'en souvient, ce qui se concevait bien s'énonçait clairement !
Le jour de la rentrée, c'est le président de la République qui croit bon de s'adresser à la gent scolaire de France et de Navarre. Ses conseillers en communication n'ont pas dû lui rappeler que le terrain était miné : s'aventurer sur les sentiers de l'éducation, c'est courir le risque de se voir mettre une note, envoyer au coin, voire coiffer d'un bonnet d'âne. De fait, quelques heures seulement après la mise en ligne de la vidéo enregistrée par le chef de l'État, il n'est plus question que de ces « quatre cent mille-z-enfants et adolescents qui sont en situation de handicap et qui auront aussi leur rentrée à faire ». Et de l'explication de gravure que lui aura réservée le soir même sa mie, ancienne prof de français comme chacun sait. Mais à force d'entonner La Marseillaise...
Une quinzaine de jours plus tard, c'est le garde des Sceaux, Me Dupond-Moretti, qui, devant l'Assemblée, crucifie en ces termes une députée de l'opposition, laquelle voulait inscrire dans la loi le recours à un « français correct » pour saisir le Conseil économique, social et environnemental : « Je voudrais [...] vous dire que vous avez présenté votre amendement et que vous avez dit : "Il devra-t-être." Il y avait un "t" de trop, et pourtant, votre amendement, nous l'examinons. »
Deux beaux exemples de pataquès au sens propre du terme, « liaison incongrue résultant de l'ajout d'une consonne superfétatoire entre deux termes ». Jusque-là, rien d'extraordinaire, sinon l'origine du vocable. Selon les on-dit, il devrait tout à la réponse ironique d'un jeune homme à deux péronnelles qui, brillant plus par le plumage que par le ramage, venaient de commettre deux « cuirs » en sa présence : « Ma foi, si cet éventail n'est point-z-à vous et s'il n'est pas-t-à vous, je ne sais pas-t-à qui est-ce ! »
Voilà pour la légende, rapportée par un grammairien du XVIIIe siècle, un certain François-Urbain Domergue. Rien de bien étonnant non plus à ce que cette faute de langage se soit bientôt appliquée à un impair quelconque, ni même à la situation embrouillée susceptible de s'ensuivre : ces extensions de sens sont légion en français. Plus inattendue est la tendance, par le biais de la locution en faire tout un pataquès, à voir là un synonyme d'« affaire », d'« histoire », et même de « fromage », au risque de rendre incompréhensible la phrase qui inaugure cet article. Mais la langue a ses raisons que la raison est bien loin de toujours connaître !