ON EN PARLE
Dû hors de ma vue !
Numéro 488
septembre 2020
Il y a l'anglomanie triomphante. Celle qui, loin de se cacher, s'affiche au contraire au grand jour, bien aise de remplacer affecter par impacter, dispute par clash et coulisse par backstage. Une short list qui n'a rien de limitatif, mais vous l'aviez compris !
Et puis il y a la rampante, qui ne dit pas son nom. Ses victimes ne sont souvent ni conscientes ni consentantes, et elles pourraient fort bien passer pour des porteurs sains. Ce qui n'empêche pas le virus de faire clandestinement son œuvre de mort ni d'infecter en profondeur le logiciel de notre langue.
Un exemple parmi une infinité d'autres, le tour dû à. Rien que de très français en apparence : l'accent circonflexe du bougre, excusez du peu, a même échappé, du moins au masculin singulier, aux simplifications vengeresses de l'orthographe nouvelle ! Cela étant, tout dépend de la façon dont on en use. Tant que ce participe se rattache explicitement à un nom — quand par exemple le déficit est dû au confinement ou que la reprise de la pandémie est due à la négligence des Français —, tout est pour le mieux dans la meilleure des syntaxes possibles. Mais que l'expression vienne à être utilisée « hors sol », sans référent précis, notamment en début de phrase, et rien ne va plus. Ne veulent strictement rien dire, au regard de notre grammaire, ces phrases que, sans effort aucun, nous avons pêchées sur la Toile : « Certains se sont retrouvés en difficulté dû à des problématiques de paiement de loyer » ; « Le recours au crédit clients a diminué, probablement dû à la nette hausse des retards de paiement » ; « Y aura-t-il toujours des vols ? Dû à autant d'incertitudes, il a préféré rentrer tout de suite, pour ne pas être bloqué ici ».
Dans notre langue, en effet, dû à ne saurait tenir lieu de locution prépositive ni se substituer aux (autrement orthodoxes) à cause de, en raison de, par la faute de. Il s'agirait là, s'insurge l'Académie dans l'ouvrage Dire, ne pas dire dont il est rendu compte ci-dessous, d'une « grossière erreur, qu'il convient de proscrire à toute force » ! Et d'abord au sein des copies de nos apprentis bacheliers, chez qui cette dérive, plutôt récente mais des plus tenaces, fait particulièrement florès...
À ceux qui douteraient encore que le crime ait été perpétré sur la terrasse avec une clé anglaise par une nommée Albion, il suffira vraisemblablement de rappeler qu'outre-Manche il y a des lustres que la locution prépositive due to a pignon sur rue.
Le pis de l'affaire est que l'on se demande bien quels gestes barrières d'un nouveau genre pourraient nous mettre à l'abri d'une telle contamination. D'autant que, de toute évidence, la plupart de nos compatriotes s'en lavent les mains, et depuis longtemps !