ON EN PARLE
Le français droit au but
Numéro 480
novembre 2019
On ne le répétera jamais assez : le sort de la langue se joue moins sous la Coupole que dans les stades. C'est là qu'infuse, lentement mais sûrement, le français de demain. C'est là que, peu à peu, nos verbes changent insensiblement de statut. C'est là que (nous vous laissons choisir votre camp) notre syntaxe se simplifie ou s'appauvrit.
Le mercato qui vient de s'achever (ne triomphez pas trop vite, on remet ça cet hiver) l'a illustré comme jamais. Il n'a été vraiment question durant l'été, n'en déplaise à l'épaule démise de Brigitte Macron, au G7 ou aux feux de forêt, que d'une seule et unique chose : qui, du Barça, du Real ou de la Juve, « signerait Neymar » ? Ne placez pas de vains espoirs dans une éventuelle coquille, nous nous relisons attentivement et plusieurs fois : il est bien écrit qui et non que, où encore moins. Aujourd'hui, on ne « fait plus signer » une star du ballon rond ou du showbiz : on « la signe ». Entendez par là qu'on l'engage. Vous ne voudriez pas que l'on s'embarrassât encore d'une périphrase factitive quand on peut se contenter du seul verbe ? Il y a belle lurette qu'en sport on ne « fait plus exploser » la défense adverse, on « l'explose » tout court. Avec l'indulgence bienveillante, sinon de l'Académie (la vieille dame du quai Conti s'entête à voir dans exploser un verbe intransitif), du moins de certains académiciens : n'a-t-on pas surpris l'un des plus charismatiques, Erik Orsenna, en plein naufrage, au moment où il s'enthousiasmait devant le voilier de Jean-Pierre Dick : « Ce qu’il y a de formidable dans un bateau, c’est qu’il explose toutes les possibilités du possible en étant respectueux des deux immenses forces : la mer et le vent. » Faites ce que prône la maison mère, pas ce que je fais !
Que dire, dès lors, de nos dictionnaires usuels, sismographes zélés à l'écoute de toutes les catastrophes plus ou moins naturelles qui s'abattent sur notre idiome ? Ni Larousse ni Robert ne rechignent plus à couvrir de leur aile bienveillante ce qui est manifestement un anglicisme : « recruter, prendre sous contrat un artiste », définissent-ils en substance, mais il va sans dire que Neymar, quand il joue ou même quand il ne joue pas, en est un authentique ! Les frères ennemis de la lexicographie — on a sa pudeur — préfèrent évoquer l'art plutôt que le football, mais nul ne doutera que ce dernier ne fasse infiniment plus pour la vulgarisation de ladite tournure, le mercato de la musique classique demeurant, sauf erreur improbable de notre part, plutôt confidentiel...
Autre facilité dans laquelle se plaît à verser le langage sportif, la suppression des prépositions inutiles. Il n'y a plus un footballeur, de nos jours, pour confier à la cantonade sa joie — ou sa peur — de « jouer contre les Brésiliens ». On « joue les Brésiliens » et point barre. Avec l'espoir, éventuellement, de se jouer d'eux, mais ça, c'est une autre paire de manches. Et que dire du rugby où l'on « échappe la balle » à tour de bras quand, en toute orthodoxie, il siérait (mais Dieu que ce serait long !) de « la laisser échapper » ? Il s'agit moins cette fois d'un anglicisme que d'un régionalisme, qui dépasse d'ailleurs de beaucoup les frontières de l'ovalie, mais la construction n'en est pas plus recommandable pour autant.
L'inénarrable Stéphane Guy, un taulier de Canal+, mourrait au micro plutôt que de renoncer à la formule qu'il a pondue et qui l'autorise à voir, dans le temps additionnel qui conclut inévitablement chacun des matchs qu'il commente, des « minutes de bonheur en plus ». Au vu de ce qui précède, on finirait par se demander si « minutes de charabia en plus » ne serait pas plus congruent à la situation !