ON EN PARLE

Le discours sans la méthode

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Numéro 478
septembre 2019

S’il est un pan de notre syntaxe qui menace ruine, c’est bien celui du discours rapporté, lequel souffre mille morts dans la bouche de l’usager.

Le premier outrage ne date pas d’hier. Tous ceux qui ont vécu assez longtemps pour connaître Joëlle Mazart, alias Pause café, se souviennent des « C’est qu’est-ce que je dis » et « C’est qu’est-ce que je fais » récurrents d’un potache de la série. Celui-ci a visiblement fait des émules parmi ceux qui nous gouvernent puisqu’un célèbre écumeur de Sofitel n’hésitait pas à déclarer, dès février 2011, au 20 heures de France 2, et pour faire peuple sans doute: « Ce qui compte, c’est qu’est-ce qui se passe dans la rue pour le monsieur qui tous les jours cherche un boulot... » À sa décharge, précisons aussitôt que peu auparavant, et sur France 2 toujours (un lieu où décidément l’esprit du français souffle en courants d’air), un camarade de parti et néanmoins ami n’avait pas hésité à s’interroger à son sujet en ces termes : « Effectivement qu’il faudra qu’à un moment donné il nous dise à tous qu’est-ce qu’il a l’intention de faire. » Et nous n’évoquerons pas, sinon par amour de la prétérition, le mot de cet ancien président de la République qui, en la matière, n’a jamais donné sa part au chien de l’Élysée : « Je souhaite qu’on convoque toutes les familles, pour demander qu’est-ce qui s’est passé ! »

Depuis lors, c’est peu dire que plus d’un s’est engouffré dans la brèche, élargie sans vergogne au passage. De plus en plus, en effet, des mots interrogatifs suivent la préposition sur, au mépris de toutes les habitudes de la grammaire française. On vous donne sur la Toile des « confidences sur pourquoi la reine Élisabeth ne peut rien refuser » au prince Harry, voire « des détails sur quand et comment le prince William » aurait trompé Kate Middleton ; un quotidien nous livre « une série de conseils sur comment communiquer sur le Web quand on est élu » ; un autre nous convie à « un forum sur comment trouver du travail à l’étranger ». À l’origine de ces dérapages fort peu contrôlés, comme souvent, une fascination déraisonnable pour la langue anglaise, laquelle n’a jamais craché, de son côté, sur un about how.

Mais les bornes semblent définitivement franchies quand on ne s’interdit plus de mêler, au sein d’une seule et même phrase, discours direct et indirect. Témoin cette formulation bizarroïde que l’on a retrouvée éparpillée façon puzzle sur la Toile (y aurait-il de l’AFP là-dessous ?) à l’occasion de la récente affaire des dispendieuses agapes de l’hôtel de Lassay : « La préfète Nicole Klein, limogée de ses fonctions de directrice de cabinet par le ministre de la Transition écologique François de Rugy, accuse ce dernier d’avoir "voulu sauver sa tête en offrant la mienne". » Chacun aura évidemment compris, sur la foi des guillemets utilisés, que le scripteur s’est attaché à reproduire littéralement les propos de l’éconduite. Ni la logique ni la syntaxe n’y trouvent pour autant leur compte : il est tout simplement exclu, dans une langue réputée cartésienne comme la nôtre, qu’un même individu se trouve à la fois représenté par une troisième personne du singulier (la préfète) et par une première (la mienne) ! Pour que la chose fût envisageable, il faudrait séparer nettement l’une et l’autre par le truchement d’un deux-points (« La préfète accuse ce dernier : "Il a voulu sauver sa tête en offrant la mienne" »).

De quoi consoler le ministre susnommé, que l’on dit pour longtemps fâché avec le homard : le grammairien bisque aussi !