Autres mots, autres mœurs...

Rien à déclarer ?
Bien sûr que si, mais autrement !

25 janvier 2011

Il était une fois — évidemment ! — une langue qui ressemblait beaucoup à la nôtre mais n'en savait pas moins cultiver sa différence. C'est le mari de Colette, l'écrivain Willy, qui affirmait, au siècle dernier : « Le Belge et le Français emploient à peu près les mêmes mots, mais ils ne leur donnent pas le même sens, et c'est terrible ! »

Il exagérait à peine. Essayez donc, au pays de Ruben Vandevoorde, de vous procurer une casserole, on vous proposera un faitout. C'est votre faute, aussi, alors qu'il vous suffisait de réclamer... un poêlon ! Et n'allez pas davantage vous plaindre si l'on vous apporte des biscuits quand vous comptiez sur des bonbons. De l'autre côté de la frontière, ces derniers se nomment boules, et tant pis si c'est à vous que ça les fout... Ne deviez-vous pas vous attendre à tout de la part de gens qui font la file alors que vous faites la queue (ces Français, de vrais cochons !), qui boivent un à-fond là où l'on fait cul sec (vous voyez bien !), qui hantent avec des filles que l'on se borne par ici à fréquenter (quand elles devraient, quelques semaines plus tard, se « trouver en position »), qui s'adonnent aux cumulets tandis qu'on se contente de galipettes et qui ont les clopes là où, inutile de fumer, nous ne verrons jamais que des chocottes ? Leurs orthophonistes sont des logopèdes, leurs ralentisseurs des casse-vitesse, leurs moquettes des tapis plains (ou pleins, c'est selon). S'ils vous expliquent que l'on a pris des postures sur leur cheminée, ne croyez pas qu'un bellâtre qui n'était pas tout juste, en équilibre sur la tablette, ait voulu jouer les Schwarzenegger : comprenez seulement que des bibelots ont été dérobés. Si, dans une quelconque université, vous vous voyez traiter de professeur ordinaire, ne boudez pas trop vite : cela vaudra toujours mieux que d'être extraordinaire, autrement dit de n'y donner que quelques cours à l'occasion. Bref, si vous ne voulez pas être recalé, bûchez et préparez vos antisèches. Ou plutôt... si vous ne voulez pas récolter une buse, bloquez et préparez vos copions.

Au demeurant, que le lecteur se rassure : il n'aura pas droit ici à l'intégralité — pardon, à l'entièreté — des variantes linguistiques que nous a concoctées, et autrement qu'au compte-gouttes, le pays du Manneken-pis. Ne serait-ce que parce que la proximité nous met, nous autres habitants du Nord-Pas-de-Calais, à l'abri de quiproquos plus cocasses encore. Nous savons du moins, au contraire des autres citoyens de l'Hexagone, ce que sont chicons et pralines. Parce que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, nous n'ignorons pas, solidarité météorologique oblige, ce qu'est une drache. Et il n'a jamais fallu nous pousser beaucoup pour que nous apercevions sous nos lits des minous, dans nos bas des flèches, sur notre peau des cloches... là où la plupart de nos compatriotes n'entravent que moutons, échelles et cloques !

La francophonie, on le voit, ce ne sera jamais bonnet blanc et blanc bonnet, ni d'ailleurs... chou vert et vert chou ! Mais une chose est sûre, toutes ces menues différences ont bien du charme, sais-tu ? Français ici, wallon là : deux bonnes raisons, somme toute, de chérir notre langue !

 

Cet article a été publié, le même jour, par le quotidien belge Le Soir.

 

Pour aller plus loin sur le sujet :

- Dictionnaire de belgicismes de Georges Lebouc (préface d'Henriette Walter), éditions Racine (2006) ;

- Dictionnaire des belgicismes de Michel Francard, Geneviève Géron, Régine Wilmet, Aude Wirth (préface de Bruno Coppens), éditions De Boeck Duculot (2010).