IRLANDE / ÉCOSSE

Figurez-vous qu'il était un chti navire...

supplément du 1er septembre 2013

qui n'avait ja, ja, jamais navigué en mer du Nord, ou si peu. L'Atlantique, oui. La Méditerranée et l'Adriatique, aussi. La mer de Norvège, même ! Mais de mer du Nord, juste ce qu'il fallait, en 2011, pour rallier la précédente... Impensable lacune pour Alain Dubois, l'heureux initiateur d'une « Croisière des Chtis » dont le succès, avec les ans, ne se dément pas. Cette fois, qu'on se le dise, le cap serait mis sur l'Irlande et l'Écosse !

Le pari du trèfle était osé, et grand le risque de se retrouver sur le carreau. De quelque crédit que jouisse, chez les connaisseurs, l'île de Skye, elle n'en est pas encore à rivaliser, dans l'imaginaire collectif, avec les Caraïbes... À la réflexion, il y avait même quelque chose de suicidaire à vouloir vendre, à des gens du Nord dûment échaudés par les draches du printemps dernier, ces ciels bas et lourds que la tradition fait peser, comme autant de couvercles, sur des landes suspectes à force d'être vertes ! Mais Alain Dubois est de ceux que les défis stimulent plus qu'ils ne les découragent. Ne fallait-il pas déjà une bonne dose d'inconscience pour imaginer, dès 2008, semblable concept sur la seule foi, raconte-t-il avec un reste d'émotion perceptible, d'un public lensois demeuré assis à applaudir le film de Dany Boon, bien au-delà du mot FIN ? Fort de l'expérience accumulée depuis lors, notre homme est bien placé pour savoir que c'est cette ivresse-là qui compte, autrement que le flacon...

Non que, tant s'en faut, ce dernier ait laissé sur leur soif les cinq cent trente-quatre Ch'tis qui, comme un seul mousse, ont contre vents et marées de mauvais augure, répondu à l'appel de leur Grand Timonier. Libre aux anti-nordistes primaires et autres professionnels de la banderole outrageante d'insinuer que le flacon ne pouvait décevoir dès lors qu'il était question de le remplir à ras bord de Guinness et de whisky, on retiendra plutôt que Dublin est une bien belle ville. Surtout quand ses voûtes altières chantent, dans la cathédrale Saint-Patrick la gloire de Dieu, dans la « long room » de Trinity College celle de l'homme : qui pourrait décemment rester de marbre au pied de ces rayons séculaires, lesquels semblent irrésistiblement attirés par le soleil de la connaissance ? De leur côté, Oban et Portree se seront révélés deux ports aussi charmants que pittoresques, dont les pimpantes façades se passent gaillardement de l'astre du jour : combien de tintinophiles qui s'ignorent se seront surpris à souhaiter que ne se dissipent pas trop vite les brumes matinales, histoire de se replonger dans cette « île Noire » qui berça leur enfance ! Quant au Loch Ness, étape obligée autant que redoutée — n'allait-on pas là tout droit à la frustration ? —, il aura réussi le tour de force de ne point tromper les attentes. Certes, le monstre ne daigna pas montrer le bout de son museau, effrayé qu'il était, sans doute, par ces envahisseurs venus... du sud. Mais qu'importe : le site, notamment rehaussé par les ruines du château d'Urquhart, n'a guère besoin de ce fantastique de pacotille pour imposer sa majesté à qui sait encore deviner l'exceptionnel derrière le quotidien.

À ce petit tiers d'Irlande et à ce gros tiers d'Écosse, il convient d'en ajouter un troisième, indispensable à la saveur du cocktail : le savoir-faire Costa. On avait entendu parler de l'exception, on a, non sans émerveillement, réappris la règle, faite avant tout de luxe, de calme et de volupté. Les moins poètes eux-mêmes, ceux qui trouveront toujours plus sûr de se faire inviter au voyage par Havas que par Baudelaire, ne manqueront pas de louer pour leur part l'extrême courtoisie du personnel de bord, la qualité et la variété des repas, le nombre et la diversité des animations. Jusqu'au bateau, un bâtiment à taille humaine, qui avait eu le bon goût de ne pas sacrifier à la folie des grandeurs : il en est tant que leurs ailes de géant empêchent de voguer !

Mais chacun aura compris, depuis l'arithmétique à nulle autre pareille de ce bon Pagnol, que le secret de la recette réside tout entier ou presque dans le quatrième et dernier tiers, à savoir ce peuple du Nord sans qui, selon la formule consacrée, rien ne serait possible. Excursions, spectacles, soirée du commandant, quiz, horoscope chti, fête du 14 Juillet, il aura, d'une humeur égale et toujours bon enfant, croqué à belles dents dans tout ce qui lui était proposé, jusques et y compris dans la machiavélique dictée que, pour la circonstance, lui avait concoctée l'auteur de ces lignes. La preuve par neuf que tous entendent bien revenir pour la prochaine édition, et sans faute s'il vous plaît !

 

Retrouvez cet article (avec les photos qui l'accompagnent) dans sa présentation originale, tel que La Voix du Nord l'a publié.