THAÏLANDE

Bangkok :
perle du plus bel... Orient !

supplément du 25 mars 2012

Le doute vous a cueilli dès l’aéroport, avec la touffeur moite d’un improbable début d’été. Et si ce rêve d’Asie était appelé à être sifflé cul sec par les petits matins blêmes de la mondialisation triomphante ? Déjà s’estompe cette mélodie d’amour qui, tout au long du vol, vous a chanté le cœur d’Emmanuelle. La seule chose que, pour l’heure, vous renvoient des oreilles meurtries par l’atterrissage est un « corps à cœur déçu »… Faut-il voir là un sinistre présage ?

C’est que Bangkok — à quoi vous aura servi de vouloir l’oublier ? — est d’abord une ville, et des plus tentaculaires. Certes, par la grâce de ses taxis aux pimpantes carrosseries (on en mangerait presque, tant ici le rose est bonbon), ses embarras sont autrement bigarrés que ceux de Paris, mais ils les valent bien. Au lieu de ces subtiles fragrances orientales dont vous comptiez vous enivrer pour, au retour, survivre aux remugles de la campagne électorale, les effluves par trop connus de la pollution ordinaire. À travers la vitre teintée du monospace que pilote un cornac silencieux et blasé — inutile de préciser que vous n’avez pas aperçu le moindre éléphant à la ronde —, plus de climatiseurs aux balcons que d’éventails de soie dans les mains. Irait-on, cette fois encore, au-devant d’une terrible désillusion ?

Non. D’abord parce que, ne pouvant vous tromper tout le temps, vous avez choisi de descendre à l’Oriental. Un de ces rares hôtels qui récitent le passé tout en sachant l’avenir. Il suffit de quelques pas, quand le décalage horaire les rendrait incertains, dans le hall de réception pour comprendre que le supplément, céans, sera surtout d’âme. Le quatuor à cordes n’officie pas encore à cette heure matutinale, mais il a déjà disposé chaises et pupitres dans un recoin de votre cerveau. Le liftier, lui, est bien là. Virevoltant, dans une révérence qui jamais ne se fait courbette, il joue les sésames, averti qu’il semble être depuis toujours de votre numéro de chambre. Comment diable fait-il ? Douze étages plus haut, les rideaux s’entrouvrent sur la majestueuse et sinueuse Chao Phraya, ce « Fleuve des rois » que butinent inlassablement, comme si la vie en dépendait, barges, navettes et autres embarcations de tout acabit. Incessant ballet dont la chorégraphie, immuable, semble avoir été fixée pour l’éternité.

L’enchantement peut commencer, la fatigue attendra.

Car on n’est pas « Cité des anges » pour rien. La mégapole qu’une paupière lasse avait tout à l’heure prise, au pis pour un enfer, au mieux pour un clone éhonté de Manhattan, n’a que faire du poète pour transformer bientôt sa fange en or : ce dernier est partout ! Au propre, au point de « rendre le ciel jaloux de sa vive couleur », il vêt temples et bouddhas. Que ce soit en pleine rue ou dans l’intimité relative — tourisme oblige ! — des sanctuaires, l’Éveillé est ici l’objet de toutes les attentions, la cible de toutes les offrandes. Pour peu qu’il n’impressionne pas par ses dimensions (celui, couché, du Wat Pho mesure quarante-six mètres de long pour quinze de haut), il fascine, à l’instar du Bouddha d’émeraude voisin du Grand Palais, par sa troublante sérénité. Qui n’a un jour entendu la lancinante mélopée des prières bouddhistes emplir, dans un coït sacré, les lieux de culte a tout à apprendre du recueillement.

Au figuré, et quand il faudrait un regard autrement exercé pour l’apercevoir, l’or — sur lequel, visiblement, tout le monde ici ne roule pas — n’en brille pas moins dans les prunelles d’un peuple affable, accueillant (ah ! ces mains jointes en signe de bienvenue !) et fier de ses traditions, qu’aucune colonisation n’est jamais venue corrompre. Certes, les marchés flottants ne se rencontrent plus guère que sur les cartes postales : quiconque veut mener sa barque au milieu des produits du cru doit, désormais, le faire hors de l’eau, au marché du week-end de Chatuchak, par exemple, invraisemblable caverne d’Ali Baba où, sur des kilomètres, tout s’achète et tout se vend. En revanche, les khlongs, ces canaux auxquels Bangkok doit son surnom envié de « Venise orientale », n’ont rien perdu de leur charme désuet : s’y aventurer à bord d’un de ces bateaux sautillants dits « à longue queue » demeure un plaisir inégalé.

Et, surtout, ne redoutez pas d’y laisser une vertèbre : la Thaïlande est le seul pays au monde qui, pour peu que vous en ayez subitement plein le dos, assure le service après-vente et, en deux temps trois mouvements, vous remet ce dernier en place. N’est-on pas ici au paradis des massages ? D’aucuns diront au paradis tout court.

 

Retrouvez cet article (avec les photos qui l'accompagnent) dans sa présentation originale, tel que La Voix du Nord l'a publié.