Remise de la médaille d'or de la Ville
et signature du livre d'or

Salon d'honneur de l'hôtel de ville d'Hazebrouck, 17 mai 1992

Monsieur le Député-Maire,

Ce n'est pas que je sois un obsédé de la médaille, mais je vous avoue sans fausse honte que celle-là me fait plaisir. C'est la plus belle récompense dont un Hazebrouckois puisse rêver à l'échelon de sa ville et je me demande, tout compte fait, si cet échelon-là ne vaut pas tous les autres. Pivot qui vous traite de « supercrack » en direct devant des dizaines de millions de téléspectateurs, évidemment c'est bien. Deux cents photographes qui vous mitraillent à la tribune de l'ONU, celle-là même qui a vu défiler tous les grands de ce monde, ça fait quelque chose. Et la réception à l'ambassade de France en compagnie de Bourges, de Chancel et de Gallimard, je mentirais en disant que ça m'a déplu. Pourtant, croyez-moi, rien de tout cela ne vaudra jamais la poignée de main furtive d'un Hazebrouckois que vous ne connaissez pas, qui, trois jours avant, ne vous connaissait pas davantage, et qui vous dit, le sourire cramponné aux lèvres : « Samedi soir, je me suis senti fier d'être Hazebrouckois. » Pivot, l'ONU, New York, c'est une fois dans sa vie. Hazebrouck, c'est tous les jours et c'est donc plus important. C'est pourquoi je reçois avec joie cette médaille dans laquelle je devine maintes poignées de main ; c'est pourquoi, tout à l'heure, je signerai sans faute le livre d'or. Quand je dis sans faute, je veux dire sans me faire prier. Pour ce qui est de l'orthographe, je m'appliquerai !

Je suis d'autant plus satisfait de recevoir aujourd'hui cette distinction qu'il y a sept ans, alors que je venais d'être sacré premier champion de France, vous m'aviez dit, à cette même table, je cite de mémoire : « On a bien pensé vous donner la médaille de la Ville, puis on s'est dit que, par la suite, on ne saurait plus quoi vous donner ! » Sur le coup, je puis bien vous l'avouer, monsieur le maire, j'ai été pris de panique. Je me suis dit : « Que vais-je bien pouvoir faire pour être remarqué de nouveau ? » Aujourd'hui, je reste ébahi devant votre clairvoyance, laquelle avait décidément quelque chose de prophétique, voire de pédagogique. Vous aviez senti que je pouvais mieux faire. D'abord, en 85, tout en me montrant le meilleur, j'avais tout de même fait une faute et demie. Ça fait désordre. Un tenant de l'orthographe phonétique en avait même bassement profité, à l'époque, en m'adressant une lettre prétendument de félicitations, au sein de laquelle il me narguait : « Vous voyez bien que nous avons une langue impossible. Même le champion de France fait des fautes ! » Et puis, en 85, il n'y avait pas la télé. On en était encore à RTL et à RMC. Ce n'était pas mal non plus, mais la télé, c'est la télé ! Et puis, à l'époque, nous jouions tout seuls, entre Français, comme dirait l'autre. Alors, forcément, nous étions sûrs de gagner ! Le lendemain de mon succès, on me disait déjà : « Attendez un peu qu'il y ait les Belges ou les Canadiens, ceux-là, ils sont drôlement forts ! » Enfin, on m'avait présenté, sur les ondes, comme un professeur lillois et j'ai eu beau ramer comme un d'Aboville, ça n'a pas été facile de placer Hazebrouck dans les médias.

Aujourd'hui, comme l'avait prévu M. le maire, tout est arrangé. J'ai fait zéro faute à la dictée comme aux tests, le genre de mésaventure qui vous arrive bêtement, sans que vous l'ayez vraiment cherché, et qui vous empêche de dire, quand se tendent les micros : « Ben, j'essaierai de faire mieux la prochaine fois. » La télé était là. Les Belges et les Canadiens aussi, et avec eux cent cinq autres pays. Et Pivot, qui progresse, n'a laissé à personne le soin de dire que je venais d'« Hazebrouck, Nord » ! Chapeau, monsieur le maire, de m'avoir obligé à me dépasser encore, mais aussi quelle angoisse : à partir de ce midi, si je comprends bien, je travaille pour rien. De votre propre aveu, plus rien à espérer, plus rien à attendre. Certes, j'ai déjà 39 ans, et une santé heureusement fragile, mais pour peu que je tienne le coup quelques années encore, la médecine fait tellement de miracles aujourd'hui...

Eh bien, rassurez-vous, monsieur le maire, ce qui me permet d'accepter aujourd'hui cette médaille sans rougir, c'est précisemént la certitude que, aussi longtemps que je le pourrai, je continuerai à travailler pour notre ville. Ce sera ma façon à moi de prouver que, si cette médaille me fait plaisir, me flatte même — ne renions pas un amour-propre qui, après tout, fait partie de la nature humaine —, elle ne saurait constituer l'essentiel. L'essentiel est ailleurs. L'essentiel, c'est que nous aimons Hazebrouck et que nous travaillons pour elle. Le plus souvent les uns avec les autres. Quelquefois les uns contre les autres, car toutes les idées sont dans la nature, et je serais tenté de dire heureusement. Mais, en tout cas, en ayant toujours à l'esprit son bien à elle.

Il n'empêche, monsieur le maire, quelle que soit la confiance que vous me témoigniez, vous avez pris un sérieux risque. Il y avait face à moi beaucoup d'autres champions, plus récents donc plus affûtés, et parmi eux une certaine Mme Balembois, championne de France 1991, de Fontaine-au-Pire. Une autre nordiste. Je l'ai rencontrée en 1986, à Lille alors que, hors concours, je rongeais mon frein dans les jurys régionaux. Dans les premiers temps, je crois que c'est moi qui l'ai aidée, conseillée, encouragée. Et puis, les années passant, c'est elle qui m'a aidé à revenir. Enfin nous avons su, en novembre dernier, que nous allions nous retrouver face à face. Compétition il y a eu, puisqu'il devait y avoir. Du moins a-t-elle toujours été loyale. Jusqu'au dernier jour, nous nous sommes téléphoné. Nous nous étions juré de terminer ensemble, ex æquo, sur la plus haute marche du podium. Vous connaissez la suite. Elle m'a lâché. On ne peut jamais faire confiance aux femmes. Dans son abnégation toute féminine, elle a, au dernier moment, au moment précis où je faisais taire mes propres scrupules concernant l'ancolie, transformé le « c » de la carre en un « qu ». Ce n'est pas une faute d'orthographe, c'est une faute contre le règlement et les ouvrages de référence. Vous voyez que je n'ai pas menti quand à l'ONU j'ai dit que j'avais eu de la chance. Si je n'avais pas craint d'offusquer Catherine Ceylac, j'aurais même dit que, si j'avais gagné, c'était à cause du « qu » !

De toute façon, Michèle, car elle est là, j'ai bien réfléchi, vous ne pouviez pas gagner. L'orthographe est femme, c'est bien connu, et pas seulement par le genre. Elle est compliquée comme les femmes, changeante comme les femmes, incohérente comme les femmes. Comme telle, l'orthographe ne pouvait se donner qu'à un homme. Dois-je vous rappeler qu'en tout bien tout honneur, naturellement, vous avez été la seule à faire mentir la nature, la seule femme parmi les professionnels à décrocher le titre, parmi six hommes ?

Michèle, vous n'êtes pas championne du monde d'orthographe, quand bien même vous le mériteriez autant que moi. Mais il est un autre titre, non moins enviable, que personne ne vous contestera et qu'atteste votre présence ici, celui de championne du monde de la sportivité. Cela méritait bien ces quelques fleurs...

Un autre grand champion me fait l'amitié d'être des nôtres ce jour, M. Jacques Frammery : trois fois finaliste, vice-champion de France en 1987, il demeurera dans l'histoire des championnats comme le premier sans-faute, sur une dictée qui, elle, restera dans les annales, celle des lauriers-cerises et des lauriers-tins. Jacques Frammery est professeur au lycée Faidherbe de Lille et, quand je vous aurai dit qu'il est professeur d'anglais, vous saisirez mieux l'étendue de la provocation, comme de son talent. S'improvisant « manageur » de l'équipe, Jacques Frammery a prodigué à Michèle comme à moi-même les dictées les plus riches en chausse-trapes, observant en tout point une stricte neutralité, avec pour seul objectif de prouver que le Nord était plus fort (pardon pour cette réminiscence des élections régionales). Monsieur Frammery, je me fais l'interprète de Michèle, j'en suis sûr, pour vous dire un grand merci. Ces fleurs ne sont pas pour vous, mais pour votre femme. Voilà plus d'un mois maintenant que j'entends dire autour de moi que c'est ma femme qui a le plus souffert, je suppose qu'il en a été de même chez vous !

Je ne serais pas complet si je ne mentionnais pas la présence parmi nous de quelques superfinalistes belges. Laissez-moi vous dire le plaisir et la fierté que j'ai eus à les fréquenter. Eux aussi faisaient partie de l'équipe. Et si, dans la catégorie francophone, ils se sont un peu fait damer le pion par les petits Suisses, on ne va pas en faire un fromage : ils ont tous terminé aux places d'honneur. Ce n'est pas dans notre ville flamande que nous bouderons notre plaisir de les avoir vus si bien se comporter, et surtout de les sentir tellement décidés à défendre, toujours et partout, notre belle langue.

Monsieur le maire, vous avez déclaré, le 14 avril à La Voix du Nord, que — je cite — mon succès rejaillissait sur ma famille, sur le Lycée des Flandres, sur les sociétés auxquelles j'appartenais et sur l'ensemble de la cité. C'est très exactement — et sans que cela ait été voulu — l'ordre qui a été observé dans les divers hommages qui m'ont été rendus.

Celui de ma famille s'est passé de phrases. La réaction des enfants se devinait encore, deux jours plus tard, à l'état du divan. Celle des parents s'est voulue bourrue : quelque chose comme « Tu peux te vanter de nous avoir flanqués dans la panade ! » Mais point besoin de posséder un décodeur pour deviner, sous la pudeur de façade des Dewaele, un immense bonheur.

L'hommage du lycée, tant celui des collègues que celui des élèves, m'a confirmé dans mon opinion : nous avons à Hazebrouck un grand lycée. Je ne le dis pas seulement parce que mon vénéré proviseur est dans la salle et qu'il vient, allez savoir pourquoi, de relever ma note administrative. Je le dis parce que je le pense et que je n'ai jamais regretté d'y avoir été formé. Si certains de mes anciens professeurs se trouvent dans cette salle, qu'ils sachent que je leur serai éternellement redevable de ce qu'ils m'ont donné.

A.L.P.HA. et les Amis de l'accordéon m'ont rendu, mercredi dernier, un hommage qu'ils croyaient me devoir. Je me suis gardé de les détromper car la soirée a été merveilleuse. Jamais je n'ai été aussi content de me sentir inutile : l'orchestre a fonctionné sans moi, le Groupe a été plus efficace que jamais : quelle leçon d'humilité et comme je serais bien inspiré, moi comme les autres, de la méditer !

Avec l'hommage de la Ville, monsieur le maire, la boucle est presque bouclée. Un dernier crochet, en juin prochain, du côté de la Caisse régionale du Crédit Agricole, le grand argentier de l'épreuve comme chacun sait — je salue d'ailleurs la présence parmi nous de M. Marchyllie — et j'en serai arrivé à la lettre « Z » de cette aventure pas comme les autres. De toute évidence, je n'en vivrai plus d'aussi belle. Les souvenirs, eux, ne s'effaceront pas, et celui de cette journée moins que tout autre. La leçon non plus, que j'emprunte au Yannick Noah d'avant la fin de la Coupe Davis : « Si tu peux le rêver, tu peux le faire... » Il avait raison.

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, vous m'offrez aujourd'hui, par votre présence, la plus belle médaille qui soit, celle de l'amitié. C'est la seule qui, à ma connaissance, ne possède pas de revers.

Quant à vous, parents proches ou éloignés, du parrain à la filleule en passant par la petite cousine, sachez que je signe ce livre d'or au nom de tous les miens. Je suis seul à tenir la plume, mais vous êtes nombreux à guider ma main...

Merci, du fond du cœur.