Café grammaire

(Calais - 2013)

dictée-bistrot au Singe en hiver

Qui l'eût imaginé ? Boire ou écrire, on n'aurait donc plus à choisir ? Déjà, dans les années quatre-vingt-dix, un mastroquet périgourdin était devenu la coqueluche des magazines pour avoir prêché la croisade contre l'extinction de l'imparfait du subjonctif. Il avait fallu qu'on le vît pour le croire ! Et voilà qu'à présent on le singe — en été comme en hiver — sur la Côte d'Opale ! Un cabaretier calaisien, maire adjoint à ses heures, n'entrouvre-t-il pas l'huis de son estaminet pour proposer, à des ouailles moins illettrées qu'assoiffées de culture, une dictée en bonne et due forme ? C'est Bernard Pivot que la nouvelle aura rasséréné : chez cet amateur de beaujolais, en effet, le culte des grands crus l'a toujours disputé à la passion des mots. Et fi des oiseaux de mauvais augure qui concluront de ce qui précède que la langue française est plus que jamais... en rade !

Il ne s'agit d'ailleurs là que d'un retour aux sources : avant qu'il ne devînt, sous la plume intransigeante d'un Zola, cet assommoir où l'ouvrier allait perdre son âme et surtout sa paie, le café fut par excellence, au Siècle des lumières, le lieu où soufflait l'esprit... Combien de philosophes se sont plu, sans ambages superflues, à y refaire le monde ! Combien de joueurs d'échecs s'y sont révélés docteurs ès mats, rivalisant de roques endiablés et d'audacieux gambits ! Combien de sans-culottes, toute honte bue, y ont affilé leurs piques à l'envi, dans l'attente ô combien fébrile du Grand Soir ! Puissent les mânes de tous ceux-là, par la rumeur publique alléchés, venir éclairer la lanterne de notre savant auditoire ! Puissent-ils notamment inspirer celui qui, hier bourreau (ce Pascal*, quoi qu'on en dise, n'a rien d'un agneau), fait aujourd'hui partie des victimes ! Il ne manquerait plus que, tout à l'heure, ses commensaux saluent sa performance en entonnant en chœur : « Il est des nôtres, car il a bu la tasse comme les autres... »

 

(*) Allusion à Pascal Pestre, tenancier du Singe en hiver.