La vache et le meurtrier
(Le Touquet, 1996)
Ce n'est pas toi, ô vache, qui es devenue folle : le fou furieux, c'est bel et bien l'homme. Ce n'est pas ta cervelle, quoi qu'on en dise, qui est dangereuse : c'est son cerveau qui va mal. Toi, tu n'as jamais demandé qu'à regarder passer les trains, tout étonnée que l'on puisse courir si vite pour si peu. Philosophe, tu as toujours préféré ruminer ta devise : « Je me remplis la panse, donc je suis. » Pouvais-tu te douter que des bipèdes, soi-disant intelligents, empoisonneraient ton rosbif pour mieux défendre leur bifteck ?
Hiroshima, Tchernobyl, pollution de l'atmosphère, scandale du sang contaminé... Depuis quelque cinquante ans, l'espèce humaine semble s'être fixé pour objet sa propre destruction et celle de son environnement. Craignant que le progrès ne nous montât à la tête, Georges Duhamel nous avertissait déjà, à l'aube de ce siècle : « Si la civilisation n'est pas dans le cœur de l'homme, eh bien, elle n'est nulle part. » Qu'il vienne à ressusciter et il écrira — d'une seule traite — que les choses vont décidément de mal... en pis !
Cela dit, tranquillise-toi : tu ne seras pas la seule, en l'occurrence, à porter des cornes. À supposer même que les scénarios apocalyptiques de la gent médicale se révèlent erronés, il n'en faudra pas moins payer les veaux cassés... Qui va vider les porte-monnaie si le ris pleure ? Si la moelle l'a dans l'os ? Si, en raison de cette épizootie, le steak haché est grillé pour longtemps ? Qui contrebalancera l'impéritie de dirigeants que l'on aurait volontiers envoyés paître, pour l'occasion ? Mais les cochons de payants, bien sûr ! Il n'y a pas de barrière des espèces qui tienne, là non plus...