Finale des Dicos d'or à Beaubourg
Contre vents et marées : la dictée !
Finale nationale 1999
(Centre Pompidou, Paris)
dimanche 16 janvier 2000
Longtemps, on a pu craindre que cette finale du 15 janvier, jour de soldes s'il en est, ne nous valût une finale au rabais. Peu s'en est fallu, en effet, que le vaisseau futuriste de Beaubourg, loin d'appareiller, toutes manches à air dehors, pour les terres inhospitalières mais ô combien dépaysantes de l'orthographe, ne restât lamentablement en rade. Non que s'y fussent opposés, cette fois, les vents et les marées : le capitaine, qui n'est pas né de la dernière pluie, avait bien compris qu'en appelant Florence Klein à la barre, il mettait du même coup la météo dans sa poche. Mais bien plutôt en raison d'une mutinerie d'une partie de l'équipage, laquelle, il y a quelques jours, avait déjà contraint le chef de l'État à différer le baptême du paquebot fraîchement radoubé.
Là où Chirac avait flotté, Pivot ne risquait-il pas de couler ? Et les esprits chagrins de faire valoir que, dans la déjà longue histoire des championnats d'orthographe, ce ne serait pas la première fois que des contestataires de tout poil chercheraient à dicter leur loi à l'instituteur le plus médiatique de France (à égalité avec un autre Klein, décidément c'est une manie !) : alerte à la bombe aux Nations unies, irruption des intermittents à l'Opéra-Comique, grève de France 3 et report pur et simple de l'émission au Stade de France, les exemples abondent pour rappeler qu'autour d'un Pivot tout ne tourne pas toujours rond, il s'en faut ! Il se murmura même que, des plus discrètement, les organisateurs, peut-être gagnés par le syndrome du Titanic, avaient, cette dernière semaine, gonflé à la hâte quelques bouées et étudié l'éventualité d'une évacuation en bon ordre vers l'îlot de télédiffusion le plus proche. Les seuls à garder les pieds sur terre, et pour cause, auront été les internautes, pour la première fois conviés à la fête : eux n'ont jamais à naviguer, il est vrai, que sur la Toile !
Fort heureusement, toutes ces précautions se seront avérées inutiles puisque c'est bel et bien dans la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou que s'est finalement déroulée, hier soir, la dernière finale orthographique du siècle. Les négociateurs avaient-ils habilement mené leur barque ? Les mutins s'étaient-ils vu mettre à fond de cale ? Toujours est-il que le soulagement des cent soixante-six passagers faisait plaisir à voir : à tant faire que de sombrer, expliquait un fataliste visiblement peu confiant dans l'efficacité de ses ultimes révisions, qu'au moins ce ne soit pas sur une embarcation de fortune ! Et puis, renchérissait un autre qui n'en menait pas plus large, il sera toujours plus facile, ici, de quémander un tuyau : ce n'est pas ce qui manque, à Beaubourg !
On le voit, nos naufragés volontaires, qui rirent d'ailleurs de bon cœur à la saynète — de circonstance — que Muriel Robin avait préparée à leur intention, eurent tôt fait de se remettre dans le bain et de retrouver, la plume à la main, leur vitesse de croisière. Ils y eurent d'autant plus de mérite que le sujet de la dictée ne fut pas précisément bateau. Pour une poignée de vieux yachts et quelques malheureuses sirènes (lesquelles, aux yeux de beaucoup, ont dû évoquer l'ambulance plus sûrement que la grande bleue), sur combien d'arbres — paulownias et ypréaux en tête — ne fallut-il pas se casser le tronc ! De combien de traits rageurs la chirurgie esthétique fut-elle ici le prétexte !
Certes, il aurait fallu autre chose que des balustres ventrus pour surprendre tous ces piliers de l'orthographe mais gageons que plus d'un junior aura fait la fine bouche devant ces actrices abondamment lippues... Quant à l'adjectif ithyphallique, il n'est point besoin de connaître son sens pour deviner ce qu'il a provoqué de débandade chez les non-initiés !
Quand bien même certains cracks (rien à voir avec ceux de la dictée) seraient, en dépit de tout, arrivés à bon port, le malicieux Pivot pouvait s'attendre à quelques vagues lors de la correction. En toute sérénité, cela dit : n'est-il pas établi depuis longtemps qu'à Beaubourg ou ailleurs il est le seul maître à bord... après Larousse et Robert ?