Bernard Pivot lira sa dictée
en direct de l'Abbaye-aux-Hommes, à Caen
Les Dicos d'or débarquent en Normandie
Finale régionale 1999
(Abbaye-aux-Hommes, Caen)
samedi 23 octobre 1999
Dehors, de l'autre côté des vitres du Corail qui ramène les journalistes à Paris, un ciel bas et lourd que n'aurait pas désavoué Baudelaire. Tradition oblige, la balade à Caen aura longtemps fait dans la grisaille, même si, tout à l'heure, un rai blafard est venu réchauffer la conférence de presse inaugurale des Dicos d'or 1999, à l'abri des murs séculaires de l'hôtel de ville. Mais voilà que le soleil entre pour de bon dans le compartiment, dont on ne soupçonnait pas qu'il abritât tant de calepins et de stylos : celui qu'ici tout le monde appelle Bernard prend place parmi ceux que, visiblement, il considère toujours comme ses pairs. Moins conquérant que le Guillaume qui l'a inspiré quelques heures plus tôt, le temps d'une courte dictée aux allures de rodage. À y bien regarder, l'homme paraît même un peu las. Dame ! C'est qu'il va lui falloir redire ce qu'il répète depuis l'aube des championnats, il y a déjà quinze ans. Non, il ne pense pas que le niveau orthographique des Français ait monté grâce à lui... Oui, il affectionne les pièges de sens, qui s'adressent à l'intelligence plus qu'à la mémoire... Non, il ne lui paraît pas possible de comparer les époques et les dictées. Il n'ignore pas davantage que, de Charybde en Scylla — tiens, une idée pour la prochaine, notons-la puisque c'est ainsi qu'il procède, de son propre aveu, pour élaborer ses scénarios —, on en viendra à l'inévitable Bouillon de culture : à sa haine du changement (ne fait-on pas toujours la même émission ? Regardez Drucker, Delarue, Mireille Dumas) ; au rôle positif que lui semblent jouer les prix littéraires... quand bien même il refuserait d'y être juré, on lui reproche assez d'influencer les lecteurs ; à ses souvenirs et à ses regrets aussi, feuilles mortes que ne recouvre qu'à demi la forêt de ses succès (Ah ! ce Julien Gracq qui boude ses interviews !). Aujourd'hui, tout de même, les amateurs de potins auront leur scoop, comme ils disent : le « débarquement » de Catherine Matausch (il est toujours cruel de se retrouver sur le sable, même à Caen !) et son remplacement par Florence Klein. Aussi bien, sa réponse est prête : simple employé à France 3, il n'y fait pas la pluie et le beau temps (Florence, par contre...). Tout de même, à mesure que la conversation se prolonge, indifférente au paysage qui, à l'extérieur, fait ce qu'il peut, le professionnel aux réponses bien huilées retrouve des accents de néophyte. S'extasie sur la performance inédite de cette candidate junior, aux deux sans-faute consécutifs. S'attendrit sur le cas, ô combien exemplaire, de cet Africain qui l'emporta il y a peu. Dit, simplement, le plaisir que lui procurent encore les livres, histoire plus que roman, biographie plus que fiction.
Quand se profile la silhouette noirâtre de Saint-Lazare, plus personne n'en doute : celui qui nous fera visiter, cet après-midi, l'Abbaye-aux-Hommes a toujours la foi !