Du labadens aux coquecigrues...

Lacs en tout genre !

mardi 24 octobre 1995

On dira ce que l'on voudra de la dictée de Pivot : quelque alambiquée qu'elle puisse paraître à d'aucuns, son mérite n'est pas mince de remettre au goût du jour, avec la bienveillante complicité de médias trop heureux d'échapper enfin à l'actuel — et par conséquent à l'éphémère —, un certain nombre de mots tombés en désuétude. La demi-finale du 14 octobre dernier n'aura pas failli à la tradition puisqu'elle aura fait renaître de ses cendres un mot qui fleure bon la pension du temps de Merlusse : le labadens (prononcer « labadince » ). En fait, ce n'est pas à Pagnol que nous devons ce terme qui — il faut bien faire un choix ! — a déserté les colonnes de certains de nos dictionnaires usuels, mais à Eugène Labiche. Labadens est en effet le nom d'un maître de pension dans un de ses vaudevilles, L'Affaire de la rue de Lourcine. Par un léger glissement de sens, le mot, devenu nom commun, désigne aujourd'hui (pour peu qu'on l'utilise encore) un camarade de collège ou de pension... Dont acte !

Pour amuser les... coquecigrues !

Autre trouvaille de la récente demi-finale, la coquecigrue. Pour plus ancien que fût le terme (il remonterait à Rabelais, ce Frédéric Dard du XVIe siècle, grand pourvoyeur de mots devant l'Éternel), il aurait un peu mieux résisté au temps puisque aucun de nos dictionnaires n'a cru bon, jusqu'ici, de le rayer de ses tablettes. Doit-il cette longévité à l'obscurité de ses origines ? Ce n'est pas impossible : les polémiques font vivre ! Toujours est-il que, sur celui-là, on se perd en conjectures... Le terme désignant initialement une chimère, un animal fabuleux et monstrueux, s'agit-il du mariage contre nature du coq, de la grue et d'une cigogne qui y aurait laissé les plumes de son arrière-train ? C'est l'hypothèse la plus communément avancée, et la plus séduisante aussi. Elle ne fait pas l'unanimité, toutefois, quelques-uns invoquant la possibilité d'un croisement avec le mot ciguë ; d'autres, à l'instar de Pierre Guiraud dans son Dictionnaire des étymologies obscures, explorant délibérément de nouvelles pistes. Pour ce dernier, grue viendrait du verbe gruer, lequel, en ancien français, signifiait « attendre » ; coque renverrait pour sa part à un objet sans valeur, de même que ci, probable vestige du latin ciccum, « zeste ». Coquecigrue voudrait alors dire  « attente de rien », d'où son sens de « baliverne ». Confirmation éventuelle, aurait tranché le père de Gargantua, « à la venue des coquecigrues », équivalent vieillot mais joliment poétique, finalement, de notre semaine des quatre jeudis !

Pour qui sonne le lacs ?

Mais le piège qui a toutes les chances de passer à la postérité se situait ailleurs : au beau milieu de ces « lacs inextricables » (le c ne se prononce pas) dans lesquels nombre de candidats distraits auront voulu voir des notes de musique, négligeant en cela une liaison très audible, et oubliant du même coup que lesdites notes sont, par essence, invariables. En l'occurrence, il s'agissait bien plutôt du nœud coulant dont on se servait pour prendre du gibier, cousin germain de notre moderne « lacet ». Mais ce terme de chasse se fait si rare aujourd'hui (c'est à peine si subsiste le lacs d'amour, constitué de cordons décoratifs repliés sur eux-mêmes de façon à former un huit couché, reprenant les initiales des époux), qu'il est confondu avec son paronyme lac. On ne dit plus guère, en effet, tomber dans le lacs (pour « se faire prendre au piège ») mais tomber dans le lac, en donnant à l'expression le sens, tout différent, d'échouer. Il est vrai que de tels dévoiements sont monnaie courante dans notre langue : dans une locution fameuse, les chiffes ne se sont-elles pas un jour métamorphosées en chiques, histoire, sans doute, de nous bourrer un peu plus... le mou ?