À la fortune du mot
Puisque l'heure est au relevé des bizarreries de notre langue — châtier n'a jamais empêché d'aimer ! —, comment ne pas évoquer celle que nous inspire l'irruption ô combien involontaire des Réunionnais sur le devant de la scène médiatique ? Comme c'est la règle pour la quasi-totalité des toponymes de la métropole, le n final de Réunion se trouve doublé dans le gentilé réunionnais. Les présentes colonnes ne suffiraient pas à citer ne fût-ce que le dixième de ceux pour qui les choses se passent de cette façon : d'Aveyronnais à Roussillonnais en passant par Montmorillonnais et Pontorsonnais. Les habitants de Lannion eux-mêmes se nomment les Lannionnais, quand ils seraient de ceux pour qui une dérogation à titre esthétique (quatre n sont en effet de nature à vous épaissir une silhouette) ne constituerait pas un franc scandale. Pourquoi, dès lors, repère-t-on çà et là des francs-tireurs ? Nous ne parlons pas des Aragonais, Cantonais, Gabonais, Japonais et autres étrangers, dont on admettra qu'ils puissent obéir à d'autres schémas que les nôtres. Mais on sait depuis la dernière dictée de Pivot, lequel ne s'interdit aucun procédé déloyal, que ceux qui demeurent à Chinon sont des Chinonais. Encore un coup fourré de Rabelais ? L'auteur de Gargantua ne doit pourtant pas être pour grand-chose dans l'orthographe de Sisteronais, de Thononais ni, pour s'en tenir à notre région, dans celle de Trélonais. Est-il besoin de préciser que la finale -on n'a pas l'apanage de ces contradictions : qui donc a décidé qu'aux Dinannais répondraient des Perpignanais ?
Il va sans dire que c'est là le cadet des soucis actuels des Réunionnais, qui ont pour l'heure d'autres moustiques à fouetter. Mais il n'est pas interdit de se poser la question : quelle mouche a donc piqué nos lexicographes ?