« Empowerment » ou
« empouvoirement » :
entre peste et choléra !

< dimanche 26 mai 2024 >
Chronique

Pour nos dictionnaires, c’est déjà 2025 ! L’occasion pour Larousse et Robert d’étalonner leurs capacités respectives à intégrer les « mots nouveaux ». N’y va-t-il pas de la sacro-sainte évolution de la langue ?

Avouerons-nous de notre côté qu’un seul de ces mots nous aura suffi pour mesurer la difficulté à créer des équivalents crédibles aux anglicismes qui, par pelletées, frappent chaque année à la porte des dictionnaires susdits ? Et ce mot, c’est empouvoirement, intronisé dans ce cas précis par Larousse.

Plus laid que celui-là, tu ne meurs même plus, tu vas directement rue de la Paix sans passer par la case départ ni ramasser les vingt mille francs convenus ! L’écurie de la Semeuse y croit elle-même si peu qu’elle propose dans la foulée une solution de rechange, l’à peine plus seyant autonomisation. Tout aussi long — plus, même, à prononcer, eu égard à ses six syllabes dignes d’un monstre de Jurassic Park. Plus grave, largement impuissant à suggérer le sens très particulier de l’anglicisme originel empowerment : « fait de donner davantage de pouvoir à des individus ou à des groupes pour leur permettre d’agir sur leur environnement social, économique, politique ou écologique ».

Relèverait par exemple de cet empowerment le « fait, pour une femme enceinte, de se prendre en charge plutôt que de laisser le personnel de santé prendre seul les décisions concernant la naissance à venir ». C’est vrai qu’on comprend mieux.

Forger des substituts efficaces à l’anglais tient souvent de la gageure. Quand son mot à lui a été créé (ou semble l’avoir été) pour coller à une réalité nouvelle, les nôtres sont soit inesthétiques (agentivation, capacitation, empuissantement) soit beaucoup trop généraux (émancipation, habilitation, responsabilisation) pour remplir leur mission ! Voilà qui en conduit plus d’un à préférer la peste de l’emprunt pur et simple au choléra d’un français défiguré. Que celui qui peut regarder cet empouvoirement sans broncher leur jette la première pierre !

Le mal vient aussi de ce que nos lexicographes rêvent d’un monde où chaque chose aurait un nom. Idéal qui n’est pas dans l’ADN d’un français qui ne rechigne pas à faire une phrase là ou l’anglais sait se contenter d’un terme : Racine a exploré l’âme humaine dans ses tragédies profanes en moins de trois mille mots. Mais d’aucuns objecteront que ça, c’était avant…