Gratitude, ingratitude :
quand la langue nous enseigne
aussi la vie...

< dimanche 16 avril 2023 >
Chronique

Qu'on se le dise : l'étymologie n'est pas seulement ce passe-temps intello qui nous renseigne sur l'origine des mots. Elle nous en dit tout autant, pour peu qu'on l'interroge, sur la nature humaine.

On a beaucoup entendu parler, ces derniers jours, de ce « devoir d'ingratitude » auquel sont censés être tenus les membres du Conseil constitutionnel : l'impartialité fait en effet obligation à ces neuf « Sages » de ne se sentir en rien liés à la main qui les a nommés, qu'elle appartienne au chef de l'État, au président de l'Assemblée nationale ou à celui du Sénat. Eh bien, selon toute apparence, ce devoir-là ne devrait pas être le plus lourd à porter !

Que nous dit en effet l'étymologie dont nous parlions plus haut ? que le latin gratus, que l'on retrouve aussi bien dans gratitude que dans ingratitude, a quelque chose à voir avec ce gré qu'il faut, en français, se garder d'écrire avec un « s » si l'on ne veut pas (à l'insu de son plein gré, comme les Guignols le faisaient dire à un certain Richard Virenque) passer pour un ignare. C'est que l'on aurait tôt fait de vous jeter la… pierre si vous n'y voyiez pas instantanément cette reconnaissance qu'il est de bon ton de témoigner à quiconque vous a un jour obligé : la gratitude ne consiste-t-elle pas à savoir gré d'un service que l'on nous a rendu ?

Mais ladite étymologie va beaucoup plus loin pour qui sait se poser les bonnes questions. Histoire de nous rappeler que la sagesse proverbiale ment volontiers, ou qu'en tout cas cette dernière relève plus souvent qu'à son tour de la méthode Coué, elle nous ferait presque douter de la pertinence d'un dicton comme « Un bienfait n'est jamais perdu ». Ce n'est sans doute pas un hasard si la langue n'a pas jugé nécessaire de fournir un contraire à ingrat !

Cela dit, il y a plus significatif encore. Le Dictionnaire historique de la langue française (qu'Alain Rey a entièrement remanié avant de nous quitter pour un monde présumé meilleur) nous apprend que le mot gratitude est le « dérivé régressif » d'ingratitude. Entendez par là que, linguistiquement parlant, l'ingratitude a précédé de deux siècles la gratitude. On ne saurait mieux souligner de quel côté penche naturellement l'homme (de même que la femme, il va sans dire, sachons rester inclusifs). Triste humanité !