Le français
tel qu'on le parle chez nous (6/6) :
« le sucer de son pouce »

< dimanche 16 octobre 2022 >
Chronique

Fût-elle très loin, il va sans dire, d'avoir épuisé le sujet, comment ne pas clore cette série consacrée aux habitudes langagières du cru par cette expression typiquement wallonne ?

Au reste, elle est tellement familière à nos Hauts-de-France que l'on s'étonnerait presque de ne pas la retrouver en bonne place dans nos dictionnaires usuels, au contraire d'une drache désormais connue de tout l'Hexagone ou d'un tour comme arranger les bidons, devenu lui aussi universel — à la faveur, il est vrai, d'une situation que, réalité ou mirage, l'on croit voir s'aggraver d'année en année !

Au-delà desdits Hauts-de-France, en revanche, des yeux risquent encore de s'écarquiller, quand bien même le contexte devrait les mettre à l'abri du nystagmus : le sens se situe quelque part entre « deviner, trouver par ses propres moyens » (Comment voulez-vous que je le sache ? je ne peux pas le sucer de mon pouce !) et « inventer de toutes pièces » (Ce que je vous dis là, vous ne voudriez tout de même pas que je l'aie sucé de mon pouce !).

L'étymologie, une fois n'est pas coutume, ne la ramène pas outre mesure. Est-ce un savoir inné, naturel, trouvé dans le berceau que l'on veut ainsi figurer en remontant à la succion du pouce du nourrisson ? Certains se contentent de souligner que, pour les croyances populaires d'autrefois, nos doigts faisaient volontiers figure de dépositaires du savoir : les sucer permettait, des plus logiquement, d'assimiler les connaissances et, comme le pouce était d'assez loin le plus gros de la bande, c'était lui qui passait pour le meilleur professeur…

Et tant pis pour les sceptiques qui se feront au passage un malin plaisir de rappeler qu'en France on aurait plutôt tendance, en pareille circonstance, à « écouter… son petit doigt » ! Gageons que, selon que l'on se trouve de ce côté-ci de la frontière ou de l'autre, on voudra voir là une marque indiscutable de la finesse française… ou une preuve de plus de la paresse franchouillarde !

Quoi qu'il en soit, il est rare que, dans notre lexique, une locution corresponde à ce point à ce qu'elle est censée décrire : si vous tenez à en savoir plus sur la genèse de cette expression, il ne vous reste en effet d'autre solution que de la deviner, voire de l'inventer !