Ces prépositions avec lesquelles
on a maille à partir

< dimanche 15 mai 2022 >
Chronique

Pour le poète, on le sait, « partir, c'est mourir un peu ». Mais, pour le grammairien, c'est mourir beaucoup : en effet, la préposition qui suit le verbe partir n'a jamais fait l'unanimité !

Longtemps, on s'est récrié contre la propension de l'usager à utiliser à, rappelant au passage que, suivi d'un nom marquant le but ou le terme du déplacement, partir devait se construire avec pour : on part pour l'Amérique ou — plus modestement et sans doute avec infiniment moins d'enthousiasme — pour le front. De même, on part pour Paris, et tant pis pour la lourdeur de l'allitération que Paul Claudel, qui ne détestait pas jouer les francs-tireurs, avait coutume de dénoncer comme une « imprononçable bouillie » ! Autour de lui, on ne reculait devant aucun qualificatif pour stigmatiser ce à inadéquat : « affreux provincialisme », « illogisme plébéien », « solécisme ignoble », nous en passons et des pires !

Comme souvent en pareil cas, le temps est venu déposer son baume sur des cicatrices qui pouvaient paraître indélébiles. Sans doute parce que, suppose Maurice Grevisse, habitude a été prise de mettre l'accent sur la destination plutôt que sur le départ. L'auteur du Bon Usage reconnaît d'ailleurs dans la foulée que « partir en voyage », locution jadis vomie par Littré, ne choque plus personne depuis belle lurette... Mais voilà qu'un autre larron est venu enrichir la donne, l'inévitable sur ! Par le canal Top Chef, d'abord, les grandes toques et leurs protégés n'ayant pas leurs pareils pour « partir sur une salade ou une purée », peu leur chaut pourvu que l'intéressée soit ensuite « revisitée », voire « sublimée ». Comprenez quelque chose comme « opter pour », « prendre pour base », autrement dit « partir... de » !

Ce tic de langage, du reste, s'est propagé de la cuisine au bureau, le rouleau à pâtisserie laissant au coupe-papier le soin de jouer les armes du crime. Quant à la terrasse... du troquet du coin, difficile de ne pas y entendre que le voisin de table « est parti sur le menu à 16 € ». Y aurait-il de la grivèlerie dans l'air ?

Une chose est sûre : à voir tant de gens partir, beaucoup... n'en reviennent pas !

Quant au lecteur attentif, il aura remarqué que, dans notre titre, partir ne se construit ni avec à, ni avec pour, ni avec sur, mais à l'aide de la préposition avec : c'est qu'il s'agit moins du même verbe que de l'ancien équivalent de « partager »...