Notre petite entreprise
ne connaît pas la crise,
ni même la courtoisie ...

< dimanche 1er novembre 2020 >
Chronique

Quand le commun des mortels se raccroche à la moindre parole rassurante des experts, le chroniqueur de langue, pour oublier sa déprime, scrute la seule forme. C'est que, pendant la crise, la grammaire continue !

Et comme, contre cette dernière, aucun vaccin n'est prévu, il lui faut bien rappeler chaque dimanche les gestes barrières, entendez par là les bons réflexes pour ne point être pris en faute, à l'image des malheureux qui ont l'ingrate responsabilité de « causer dans le poste » !

En témoigne l'intervention, lundi dernier sur une radio périphérique, du sympathique, voire empathique, Jean-François Delfraissy. Retranché derrière le masque devenu de rigueur, on ne l'en a pas moins entendu déclarer, dans un élan de modestie auquel obligent visiblement certains tâtonnements passés : « Le Conseil scientifique et moi-même ne sont là que pour essayer d'éclairer le débat. »

Sous ce verbe « essayer », ceux qui ont soif d'essentiel auront compris : à condition que nous tombions d'accord et que le politique, ensuite, daigne nous écouter ! Mais, pour nous, voilà surtout l'occasion de préciser une règle méconnue, pour ne pas dire inconnue du grand public : de quelle façon accorder le verbe quand celui-ci a plus d'un sujet et que, de surcroît, ces sujets sont de personnes différentes ? C'était ici le cas de Conseil scientifique (troisième personne du singulier, que l'on reprendrait spontanément par un « il ») et de moi-même (première personne, équivalant cette fois à un « je »).

On aura d'ores et déjà deviné que notre homme — dont la noble tâche est de sauver des personnes d'une tout autre importance puisque faites, elles, de chair et d'os ! — n'a pas fait le bon choix. Car, de même que le Code de la route au carrefour, le code grammatical définit des priorités : qu'il s'agisse du singulier ou du pluriel, la première personne l'emporte sur la deuxième, la deuxième sur la troisième et, naturellement (parce que qui peut le plus peut aussi le moins), la première sur la troisième. Il convenait donc d'opter en l'occurrence pour « ne sommes là que pour essayer d'éclairer le débat ». Et tant pis pour la politesse, qui, dans la vraie vie, recommanderait plutôt, au nom du socialement correct, de faire passer le toi ou le eux avant le moi !

Grammaire, ton univers impitoya-a-ble...