Quand la pandémie
réconcilie l'insoluble et l'insolvable...

< dimanche 4 octobre 2020 >
Chronique

Aux mots de notre lexique aussi, il arrive fréquemment de jouer les Dupond/Dupont : certains se ressemblent tellement qu'on les confond sans vergogne, au prix de contresens mi-savoureux, mi-dévastateurs...

L'autre soir, un animateur de CNews, que rend apparemment sceptique la fermeture des bars et des restaurants dans ce qu'il est convenu d'appeler la « cité phocéenne », remarque que pareille décision risque d'inciter les clients frustrés à se rassembler chez eux, dans des conditions plus propices encore à la propagation du virus. Bref, il trouve le problème « insolvable ».

Il n'est pas impossible que ledit animateur se soit laissé gagner par la morosité économique ambiante : du début à la fin, son émission n'a cessé d'agiter le spectre d'une catastrophe économique, laquelle n'est au demeurant que trop prévisible. De là pourtant à confondre insolvable (« qui ne peut pas payer ses dettes ») et insoluble (« qui ne peut être résolu »), il y a un pas a priori aussi infranchissable que le gouffre qui sépare actuellement la capitale de son éternelle rivale marseillaise. Il n'en a pas moins été franchi avec une aisance que ne désavouerait pas Carl Lewis en personne !

À la décharge de notre journaliste, outre que la fièvre des plateaux prédispose peu à la maîtrise du français, la parenté étymologique des intéressés : tous deux descendent du même verbe latin solvere. Une vieille connaissance à l'origine de notre triptyque absoudre, dissoudre et résoudre, l'un des pires « clusters » (berk !) que notre langue ait enfantés : substitution d'un « t » au « d » de l'infinitif à la troisième personne du singulier (il absout, il dissout, il résout), participe passé masculin en froid avec sa moitié (dissoute, mais dissous, du moins avant que la nouvelle orthographe ne vienne jouer les entremetteuses), sans oublier un futur simple qui nous fait souvent choisir le barbarisme « résolverai » plutôt que la forme correcte résoudrai. Combien se sont avisés trop tard, à l'instar d'un Jacques Chirac, que remanier aurait mieux valu que dissoudre ?

Cerise sur le gâteau, ce commentateur de Canal + qui craignait que la paire du LOSC Xeka-Thiago Mendes ne fût « dissolue ». À moins qu'il ne soupçonnât tous les footballeurs de hanter les boîtes de nuit à la façon d'un Neymar Jr., dissoute eût été de beaucoup préférable. Un « cluster », on vous dit !