Pour ou contre par contre ?

Purisme, quand tu nous tiens...

< mardi 12 septembre 1995 >
Chronique

Un lecteur de Lille se dit « chiffonné » par le discrédit qui continue à peser sur la locution adverbiale par contre. Qu'il se rassure, il n'est de toute évidence pas le seul...

C'est la faute à Voltaire !

La tradition veut en effet que ce soit l'auteur de Candide qui, le premier, ait mis ladite locution à l'index. Un siècle plus tard, Littré lui emboîta le pas, ne voyant là qu'une expression du langage commercial. « Façon de parler boutiquière », renchérira le grammairien Abel Hermant. Quant à l'Académie, elle l'ignorera purement et simplement : on n'en trouve pas trace dans la huitième édition de son Dictionnaire. Par contre n'en fit pas moins une brillante carrière, se trouvant même d'illustres parrains : plus d'une centaine d'écrivains selon Grevisse, parmi lesquels, constate-t-il avec délectation, une quarantaine... d'académiciens ! On comprend que, dans ces conditions, les puristes éprouvent quelque difficulté à se faire entendre, d'autant que les substituts qu'ils mettent en avant (en revanche, en compensation, au contraire) ne font pas l'unanimité. Notre lecteur remarque par exemple que la locution en revanche a une connotation autrement positive que par contre. Il ne fait en cela qu'épouser les arguments de l'écrivain André Gide, lequel s'insurgeait : « Trouveriez-vous décent qu'une femme vous dise : "Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche, j'y ai perdu mes deux fils" ? ». Joseph Hanse, dont on connaît les positions avant-gardistes en la matière, a beau jeu de souligner, dans le même ordre d'idées, que par contre peut introduire un avantage aussi bien qu'un inconvénient, ce qui n'est pas le cas, effectivement, des ersatz susdits !

Une tolérance gênée

L'heure semble bien être, aujourd'hui, à la tolérance. Pierre-Valentin Berthier et Jean-Pierre Colignon rechignent, par le biais d'un point d'interrogation évocateur, à consacrer à la locution incriminée l'une des rubriques de leur excellent ouvrage Le français écorché (Belin 1988) : « Il semble, écrivent-ils, qu'elle ne soit guère plus critiquable que par trop, qui remonte à très loin. » De leur côté, les dictionnaires usuels lui ouvrent leurs colonnes. Robert sans le moindre état d'âme, comme à son habitude ; Larousse et Hachette plus prudemment, mais la mise en garde dont ils assortissent leur définition est si modérée qu'elle en perd tout effet dissuasif : « La locution, lit-on dans le Petit Larousse 1995, a longtemps fait l'objet (un passé qui tendrait à prouver que ce temps-là est révolu) des critiques de certains puristes (pas tous, donc ?). Plus étonnant encore, le commentaire embarrassé que livre l'Académie, en 1988 : « La locution, décrète-t-elle, ne peut être considérée comme fautive (Littré le reconnaissait déjà en son temps, sur le plan grammatical du moins), mais l'usage s'est établi de la déconseiller, chaque fois que l'emploi d'un autre adverbe est possible. » Des puristes qui se réclament de l'usage, voilà, soit dit en passant, qui n'est pas si courant !

Telle semble bien être, en tout cas, la situation actuelle : il n'y a plus grand monde, visiblement, pour ferrailler contre l'expression honnie, ses détracteurs les plus farouches se font eux-mêmes plus mesurés dans leurs attaques, mais le tabou subsiste et bon nombre d'ouvrages spécialisés en proscrivent toujours l'emploi « dans la langue surveillée ». Par acquit de conscience, serait-on tenté d'avancer. Presque par  superstition. L'avouerons-nous ? Il y a peu de chances pour que nous l'employions nous-même spontanément dans la présente rubrique ! Coquetterie bien dérisoire, convenons-en, quand Stendhal, Maupassant, Anatole France, Apollinaire, Georges Duhamel, André Gide, Giraudoux, Saint-Exupéry, Malraux et autres ténors de l'écriture, eux, ne s'en sont pas privés...