En attendant le Brexit,
les Anglais ont déjà réussi
le « Blacks out » !

< dimanche 3 novembre 2019 >
Chronique

En... blackboulant les champions du monde néo-zélandais de rugby, il y a quelque huit jours au Japon, le XV de la Rose nous a proposé une version inédite et savoureuse d'un black-out autrement entré dans les mœurs.

Non que la signification précise de cet anglicisme ne présente quelques zones... d'ombre ! Tous s'accordent du moins à reconnaître que le mot (introduit dans notre littérature par Louis Aragon) est emprunté au vocabulaire du théâtre, le black-out consistant initialement à « éteindre les feux de la rampe pour augmenter l'effet de scène ». Coïncidence dont ne manqueront pas de s'amuser les esprits espiègles : le Brexit doit lui aussi beaucoup audit théâtre puisque la forme latine exit (littéralement, « il/elle sort ») s'est longtemps contentée de signaler qu'un personnage débarrassait, sinon le plancher, du moins les planches.

Si, donc, l'origine du mot ne fait pas débat, les extensions de sens semblent s'être opérées de façon plus désordonnée. Logique semble la réutilisation du terme, durant la Seconde Guerre mondiale, par les militaires : le black-out devient alors l'« établissement de l'obscurité totale dans une ville ». Dans nos dictionnaires, l'unanimité est pourtant loin de se faire sur les objectifs. Cette mesure de défense passive viserait, selon l'Académie, à « rendre plus difficile l'action de l'aviation ennemie ». Pour le Dictionnaire historique de la langue française, il s'agirait plutôt de « dépister les raids aériens nocturnes ». Il est vrai que l'un n'empêche pas l'autre. Plus inattendue peut paraître la récupération du vocable par l'agresseur : Robert fait état pour sa part de l'« interruption des émissions électromagnétiques pour ne pas signaler sa position », une acception que tout défenseur de la langue française aura à cœur de troquer contre « silence radio » !

Aujourd'hui, et parce que nous n'avons sans doute pas moins à craindre de nous-mêmes que de l'ennemi — les récents incendies de Notre-Dame et de l'usine chimique Lubrizol sont là pour le rappeler —, ce sont les gouvernements que l'on soupçonne volontiers de « faire le black-out » pour évacuer les questions qui fâchent... De quoi nous rendre sympathique cet iconoclaste « Blacks out ! », d'autant qu'il nous ferait presque oublier le tout aussi cinglant « Blues knock-out ! » que nous avions eu à subir quelques jours auparavant...