Les mots qui ont la gueule de l'emploi...
et les (nombreux) autres
L'Orléans de Yann Moix, quoi qu'on pense de son auteur et de la polémique parfois nauséabonde dans laquelle il se débat actuellement, est sans conteste un grand livre, magistralement écrit surtout.
Il n'appartient pas au chroniqueur de langue d'en dire plus sur un sujet qui n'est pas le sien. Difficile, en revanche, de faire l'impasse sur ce morceau de bravoure qui, cette fois, relève de son pré carré orthographique : « Je reçus une gifle et, en même temps qu'elle, le mot "gifle", qui me parut ressembler à sa réalité. Le mot exprimait parfaitement, avec son f sifflé, cette fente où le vent de toutes les violences parvenait à s'immiscer pour s'abattre sur la joue. Le i , par sa stridence, préfigurait l'aspect cinglant de l'opération. Et le l final, mouillé, comme si la main surgissait de l'océan, transportait de l'écume et portait des ailes. La gifle, comme son avatar lexical, était maritime et aérienne ; il y entrait un je ne sais quoi de voltige salée. »
Si d'aucuns doutaient encore de la poésie qui suinte des mots, y compris les plus durs, les voilà habillés pour l'hiver ! Cela dit, cette « ressemblance » entre le signifiant et le signifié, entre le mot et la chose, relève de l'exception beaucoup plus que de la règle. Et quand, comme ici, elle semble sauter aux yeux, elle n'en paie pas moins un lourd tribut à l'arbitraire. Combien sont-ils, pour donner à ce « vent de toutes les violences » plus de force encore, à doubler le f ? Comme on double le f de gaufre pour la rendre plus dodue, voire celui de pantoufle pour la fourrer davantage...
Il en est même qui coiffent d'un circonflexe le chalet, sous prétexte qu'il a besoin d'un toit ! Le problème est bien que cela ne marche pas à tous coups, sinon c'est alourdir qui aurait deux l, et alléger un seul ! Même chose pour le boursouflé, à qui, par charité, la nouvelle orthographe a fini par octroyer un f supplémentaire quand en jouissait depuis toujours le premier essoufflé venu ! Et que dire de la pourtant exubérante esbroufe, qui ne fait guère de vent avec son f unique ? de la tremblote, dont les quenottes s'entrechoqueraient autrement avec un rab de t ?
Le malicieux Bernard Pivot pouvait bien répéter qu'il n'imaginait pas un éléphant sans son ph, allure pachydermique oblige, force est de reconnaître que, si nos vocables ont à l'occasion la gueule de l'emploi, c'est par pur hasard !