Il faut en finir avec cette mode
immodérée de l'« éponyme » !

< dimanche 19 mai 2019 >
Chronique

On sait depuis Boileau que, sur le métier, il faut remettre son ouvrage vingt fois (et non cent, comme le croient les pessimistes !). Comment, dès lors, ne pas revenir, à la lumière de l'actualité, sur l'adjectif éponyme ?

Pour la circonstance, c'est L'Express qui sera notre guide au royaume des enfers. N'y a-t-on pas lu, tout récemment, cette surprenante révélation : depuis que Notre-Dame s'est embrasée, Victor Hugo flambe au palmarès des librairies. Rien d'inconcevable, au demeurant, sur le fond. On croit même se souvenir que La Princesse de Clèves ne s'est jamais mieux portée qu'après avoir essuyé les foudres d'un certain Nicolas Sarkozy, qui avouait (des plus honnêtement) s'y être ennuyé d'importance. Sur la forme, en revanche, on ne peut que constater une nouvelle fois la propension de tout ce qui écrit à user de mots ronflants, au risque, excusez du peu, de dire le contraire de ce qui est.

Qu'écrivait exactement notre confrère, en effet, le 16 avril ? que l'incendie de Notre-Dame de Paris avait des conséquences inattendues, puisque « le roman éponyme de Victor Hugo [était] numéro un des ventes sur la plate-forme Amazon ». Au sens strict du terme, qu'est-ce que cela signifie ? Eh bien, tout simplement, tenez-vous bien, que c'est le roman de Victor Hugo qui a donné son nom à une cathédrale qui l'a précédé, dans l'histoire, de plusieurs siècles. « Étonnant, non ? » se serait empressé de ricaner le malicieux Desproges.

Peut-être n'est-il pas inutile, du coup, de méditer cette mise en garde de l'Académie française : l'adjectif éponyme doit s'appliquer, étymologie oblige, à ce qui « donne son nom », et non pas à ce qui le reçoit ! Dans l'Antiquité, donc, à celui des dix archontes qui permettait de nommer l'année en cours. Aujourd'hui, et par extension de sens, au héros qui fournit son titre à l'œuvre dont il est le personnage principal. Ainsi, Knock est le héros éponyme de la célèbre comédie de Jules Romains... mais surtout pas l'inverse ! On se contentera, dans ce dernier cas, d'évoquer plus sobrement la pièce « du même nom » ou « qui porte son nom ». Mais n'est-ce pas par trop trivial aux yeux de quiconque tient la plume et brûle de faire admirer à ses lecteurs enamourés sa connaissance approfondie du lexique ? Il n'est malheureusement pas exclu que la réponse, comme souvent, soit contenue dans la question...