Adieu la province
de notre douce France,
bonjour les « territoires » !
C'est moche et ça ne veut rien dire : toutes les conditions étaient réunies pour que le mot fît carrière dans le politiquement correct. De fait, il fleurit actuellement sur les lèvres de tous ceux qui nous gouvernent...
Le phénomène n'est que trop connu : faute de pouvoir (ou de vouloir) s'attaquer aux choses, on s'en prend aux noms qui les désignent. Témoin ce fossé qui va se creusant entre la capitale et le reste du pays, les événements récents l'ont rappelé avec une vigueur inédite.
Voilà longtemps, pour tout dire, que le terme de province sentait le pâté : André Malraux, déjà, appelait à la disparition de ce « mot hideux » ! C'est que ce dernier s'est chargé, au fil des ans, d'une connotation résolument péjorative : à celui qui réussit, le privilège de « monter à Paris » ; à celui qui continue de n'être rien, dût-il croiser le précédent dans une gare, l'obligation de « retourner dans sa province », avec tout ce que cela suppose d'apocalyptique. Quant aux « manières provinciales », elles sont décrites dans nos dictionnaires comme « gauches » (Robert), loin de « l'aisance que l'on prête aux habitants de la capitale » (Larousse) !
Exit donc l'encombrant province, que l'on a d'abord tenté de remplacer par région. « En région(s) » s'est un temps dit de tout ce qui n'était pas Paris et sa banlieue. Avec cet inconvénient majeur, pour ne pas dire rédhibitoire, que l'Île-de-France est elle-même, jusqu'à plus ample informé, une région ! On s'est donc replié en bon ordre sur territoires, lequel, on l'a dit plus haut, a l'immense avantage de ne rien signifier de précis. Depuis 2017, un ministre n'en a pas moins été chargé de leur « cohésion ». Mais ce ne serait pas la première fois que l'on découvre l'existence d'une chose le jour où lui est affecté un ministère. Aussi bien, le risque de confusion avec ce que l'on appelait les TOM n'existe plus, puisque, dans un raccourci qui n'honore ni notre grammaire ni les intéressés, on parle aujourd'hui, et sans la moindre vergogne, « des Outre-mer » !
Reste à savoir si la condescendance que nous évoquions a accompagné la province dans sa disgrâce (à en juger par ce qui se raconte sur les giratoires, il semble que non) et si le passage du singulier (le seul territoire qui valût hier était le national) au pluriel ne ruine pas l'idéal d'une République une et indivisible...