La grammaire en action(s)

Télécom ci, Telecom ça !

< mardi 4 novembre 1997 >
Chronique

L'avouerons-nous ? Nous ne faisons pas partie des quatre millions de Français qui, il y a quelque quinze jours, se sont rués — pour leur plus grand profit, semble-t-il — sur les titres France Télécom. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir repéré l'affiche qui annonçait cette privatisation à grand renfort de perspectives alléchantes. Seulement voilà : vous ergotez sur la forme, soucieux que vous êtes d'alimenter votre rubrique, et le fond vous échappe. Un grammairien, c'est dit, ne fera jamais fortune ! Et qu'est-ce qui a bien pu, on vous le demande, le détourner ainsi de l'essentiel ? Tout simplement le slogan qui barrait l'affiche en question : « Vous, nous, on peut tous devenir actionnaire ! » Problème intéressant s'il en est que cet accord de l'attribut après on, et à propos duquel nos lecteurs ne cessent de nous interroger. Profitons donc de l'aubaine pour rappeler ici que quand on joue effectivement son rôle de pronom indéfini, c'est-à-dire chaque fois qu'il désigne un agent humain dont on ignore l'identité, l'attribut est au genre et au nombre indifférenciés, à savoir au masculin singulier : « On est venu crever les pneus de ma voiture cette nuit. » Quand, en revanche, ce on ne fait que se substituer, dans la langue familière surtout, à un pronom tel que nous ; à plus forte raison quand, dans le voisinage, un mot renseigne sur le nombre (ici tous), plus personne ou presque ne s'oppose à ce que l'attribut s'aligne sur le genre et le nombre des objets désignés  : « On peut tous devenir actionnaires » n'aurait guère choqué que l'Académie, laquelle ne s'est jusqu'ici résignée que du bout du bicorne à cette union contre nature... grammaticale. Mais dame ! Il ne sera pas dit que seuls les collègues de la Poste ont des lettres... Plût au ciel que la direction de France Télécom eût fait preuve de la même orthodoxie dans le choix d'un logo dont les accents, pour faire plus anglo-saxon sans doute, semblent bien avoir été remisés sur liste rouge. Comme dirait Sardou : « Ne les appelez plus jamais France Télécom ; à France Télécom, ils ont laissé tomber... mes accents ! »