La question n'est pas
de savoir qui va hériter
mais comment le dire...

< dimanche 4 mars 2018 >
Chronique

L'actualité de la famille — des familles ? — Smet étant ce qu'elle est, nos lecteurs ne comprendraient pas que cette chronique, fût-elle de langue, fît l'impasse sur la succession pour le moins mouvementée du « taulier ».

Nonobstant, le propos n'est pas tant pour nous de prédire qui l'emportera, du clan Boudou ou du duo David-Laura, que de savoir de quelle façon ! Les bénéficiaires hériteront-ils la fortune ou de la fortune du rockeur ? Autrement dit, le verbe hériter doit-il se construire comme un transitif direct (hériter quelque chose) ou un transitif indirect (hériter de quelque chose) ?

Eh bien, les deux, mon notaire ! La tradition est bien que l'on hérite de quelque chose : d'une pochette de disque, d'une guitare, voire d'une villa californienne. Seulement, comme on hérite également de quelqu'un — en l'occurrence, ici, de Johnny Hallyday —, habitude a été prise, chaque fois que le verbe hériter est suivi de deux compléments, d'user de la préposition de pour le donneur et de construire l'objet du legs directement : dès lors, on hérite quelque chose de quelqu'un.

On aura pourtant deviné que, la boîte de Pandore une fois ouverte, nombre d'écrivains en sont venus à conserver la construction transitive directe pour les choses, même en l'absence du généreux donateur. Au milieu du XXe siècle, Adolphe Thomas citait un Pierre Benoit qui faisait hériter quelques milliers de francs de rente à l'un de ses personnages et un Jacques Chardonne dont le héros avait, au sens figuré cette fois, hérité un esprit séditieux.

L'usage en a pris son parti, au point que, selon Joseph Hanse, le complément de chose se construit aujourd'hui « avec ou sans de ». Il ne sera pas dit que la grammaire se montre plus tatillonne que la procédure !

Non moins étonnant, ce que nous révèle le Dictionnaire historique de la langue française : à l'origine, peu importait que la construction fût directe ou indirecte puisque hériter ne signifiait pas « recevoir en héritage » mais « donner » ! On aurait donc été fondé, jadis, à écrire que Johnny « héritait toute sa fortune à Laeticia »...

On ne l'est plus. Linguistiquement parlant, le testateur, aujourd'hui, n'a plus que le pouvoir de... déshériter ! Et encore, à condition que le COD soit une personne. Les « professionnels de la profession », dirait un certain Godard, continuent pour leur part de se la péter grave en parlant dans ce cas précis d'exhéréder.

Ça fait encore plus mal, vous ne trouvez pas ?