La grammaire côté cour

Ce sont là « je » de prince...

< mardi 23 septembre 1997 >
Chronique

Les récents atermoiements de la famille royale d'Angleterre n'auront pas seulement provoqué l'ire des sujets de Sa Gracieuse Majesté ; cette foire du trône là aura conforté les républicains que nous sommes dans l'idée que notre régime n'est pas le plus compliqué ! Sur le plan syntaxique, au moins, la cause est entendue : si la guillotine a fait tomber des têtes, elle a, du même couperet, tranché quelques litiges grammaticaux... Nous n'en voulons pour preuve que ce nous de majesté dont usaient jadis nos rois, et qui débouchait sur quelques raffinements orthographiques du plus bel effet. On sait par exemple que, si le verbe qui suivait ce je déguisé prenait lui aussi la marque du pluriel, adjectif attribut et participe se devaient, eux, de rester au singulier (« Nous, roi de France, entendons être obéi de notre peuple »). Et que dire de la formule Votre (ou Sa) Majesté, dont l'attribut se mettait au féminin s'il s'agissait d'un adjectif (« Votre Majesté n'est pas indifférente au sort de son peuple »), au masculin s'il s'agissait d'un nom précédé de l'article (« Sa Majesté est le garant de l'unité nationale ») ! Nous n'irons pas jusqu'à prétendre que c'est de ces privilèges-là que les cahiers de doléances réclamèrent en priorité l'abolition, mais force est de constater que la Révolution est la seule de nos réformes grammaticales à avoir, en quelque sorte, abouti ! Les nostalgiques de l'Ancien Régime, il est vrai, se moqueront royalement de nos arguties et auront beau jeu de nous répliquer que, si la république a gommé les Majestés du paysage, elle n'a éradiqué ni les Éminences ni les Excellences, lesquelles fonctionnent sur des schémas presque aussi tarabiscotés. Quant au nous de modestie, si conforme, insinueront-ils, à nos principes d'égalité, il n'a rien à envier à celui de majesté. Sous prétexte que « le moi est haïssable » (merci, Blaise Pascal !), n'oblige-t-il pas l'auteur de cette — évidemment modeste — chronique à écrire : « Nous sommes convaincu qu'il y a là une faute » ? La morale de cette histoire, c'est qu'il est plus aisé de s'affranchir des gouvernants que des règles de la grammaire !