Quand la suffisance est soupçonnée
de conduire aux pires insuffisances...
Pour nos Bleus incapables de venir à bout du modeste Luxembourg après avoir étrillé les Pays-Bas, la claque fut telle, il y a moins d'une semaine, que d'aucuns n'ont pas hésité à parler de suffisance...
Ne comptez pas sur le chroniqueur de langue pour aller dans leur sens, pas plus, d'ailleurs, que pour s'inscrire en faux : ses seules connaissances sur le terrain linguistique ne lui permettent pas de sonder les reins et les cœurs ! Tout au plus prendra-t-il plaisir à souligner la malice du français, lequel ne rechigne pas à mettre sur le compte d'une supposée suffisance les nombreuses insuffisances qui ont crevé l'écran dimanche dernier : passes qui n'arrivent pas, centres éparpillés façon puzzle, tirs dans les nuages, etc. Et d'abord, comment ce terme de suffisance en est-il venu à chasser sur les terres d'arrogance, de prétention et de vanité ?
La chose, autrement vieille que le football, remonterait en fait au... XIIe siècle. Il s'en faut du reste qu'elle ait d'emblée revêtu le caractère péjoratif qu'on lui connaît aujourd'hui : dans cette suffisance-là, on voyait surtout compétence et réussite sociale ! Des plus logiquement, quand on y pense : celui qui « se suffit » ne trouve-t-il pas en lui « son suffisant », entendez de quoi satisfaire par ses propres moyens toutes ses aspirations, matérielles ou morales ? On ne s'étonnera donc pas que, jusqu'à l'époque classique, le mot ait désigné un grand, un notable, bref quiconque avait moins besoin des autres que les autres n'avaient besoin de lui ! Sous cet angle, il ne fait aucun doute que nos cadors du ballon rond ne soient « suffisants » : il ne leur manque ni voiture ni âme sœur, et c'est bien le diable si l'âme en question ne s'incarne pas, de surcroît, dans un corps de rêve ! Quant aux variations de l'APL, gageons que cinq euros de plus ou de moins ne pèsent guère sur leur choix (du côté de Bougival plutôt que de Saint-Denis) !
Mais l'humain est ainsi fait qu'entre qualités et défauts il y a moins une différence de nature que de degré. Il n'est que de relire Molière pour vérifier que, le grand susdit n'ayant autre chose à faire à la cour que de s'admirer, il s'y complaît, ce qui n'a pas l'heur de plaire à un entourage prompt à l'envie. La suffisance tourne alors à la présomption et à la fatuité. C'est que, pour nos mots aussi, la roche Tarpéienne est proche du Capitole !