Quand les « tracteurs »
sont pris à partie par les... détracteurs !
Notre langue n'est pas avare de clins d'œil. Au gré de l'actualité, il lui arrive même d'organiser des rencontres passablement surréalistes. Témoin celles qui opposent actuellement militants désemparés et électeurs vindicatifs.
On sait que, depuis la fin du siècle dernier, le verbe tracter ne signifie plus seulement « tirer au moyen d'un véhicule ou d'un procédé mécanique », mais aussi « distribuer des tracts ». Sans doute fruit d'une plaisanterie à l'origine, cette extension de sens s'est rapidement imposée sur le terrain, au point de recevoir la bénédiction de dictionnaires généralement prompts à entonner le grand air de la nouveauté. Le dérivé « tracteur » n'a toujours pas eu, lui, en tout cas dans ce sens, les honneurs de leurs colonnes, ce qui fait qu'il reste, pour l'heure, l'apanage de nos agriculteurs. Mais, au train où vont les choses, cela ne devrait pas durer...
Et voilà que ces « tracteurs » officieux, du moins ceux qui œuvrent pour un candidat englué dans de présumées affaires, se font désormais tirer l'oreille sous prétexte qu'ils sont livrés en pâture à des détracteurs particulièrement remontés... On a beau savoir qu'une langue fait dans la poésie au moins autant que dans la communication, cela ne s'invente pas !
Cette rencontre était d'autant plus improbable que les chemins étymologiques ne sont pas les mêmes. Tract nous vient, par l'anglais tractate, du latin tractare, « traiter, discuter ». Alors que détracteur remonte, pour sa part, au latin trahere, « tirer », qui a donné en français traire. (Soit dit en passant, un argument de plus pour lesdits détracteurs qui, à tort ou à raison, se sentent plus que jamais pris pour des vaches à lait !) Le détracteur est en effet celui qui, par ses critiques, tire vers le bas, attente à la réputation de quelqu'un ou de quelque chose.
Pour peu que cette nouvelle acception de tracteur, pour des raisons que chacun peut deviner, ne réussisse pas à s'imposer du côté du quai de Conti (le conservatisme de nos immortels nous inclinerait plutôt à parier, dans la prochaine édition de leur Dictionnaire, pour un... classement sans suite), nous nous permettons de suggérer, des plus modestement, pour le malheureux militant qui ramasse actuellement une gamelle chaque fois qu'il tend aimablement son tract sur les marchés, un vocable autrement adapté : tractopelle !