Cachez ces « sauvageons»
dont nous ne saurions décemment parler !
Quand la langue souffrirait mille morts, il est presque réconfortant de constater que l'on ne badine pas, en France, avec le vocabulaire : le ministre de l'Intérieur vient encore d'en faire l'amère expérience...
Le prudent Bernard Cazeneuve ne s'attendait probablement pas à une telle levée de boucliers pour avoir qualifié de « sauvageons » ceux qui, à Viry-Châtillon, s'en sont pris à ses policiers, jusqu'à mettre leur vie en danger. La réaction de surprise du journaliste qui l'interrogeait sur RTL a bien dû lui mettre la puce à l'oreille puisqu'il a cru bon de préciser aussitôt que, dans son esprit, la sauvagerie avait partie liée avec la barbarie. Mais le mal était fait et la polémique déjà sur les rails.
Nul ne s'étonnera que l'opposition ait été la première à dégainer : c'est de bonne guerre en cette période préélectorale. Mais qu'un journaliste comme Pascal Praud soit lui-même amené à s'émouvoir dans sa chronique suffit à rendre compte du malaise. On est en droit d'attendre d'un ministre de la République, devait-il déclarer en substance dans Le Praud de l'info, qu'il s'exprime avec précision et use du mot juste !
Reconnaissons avec lui que le terme d'assassin, avec tout ce qu'il suppose de préméditation, eût été plus approprié à la violence et au caractère délibéré de l'agression que ce sauvageon longtemps cantonné dans l'arboriculture. L'intéressé n'était à l'origine, en effet, qu'un « jeune arbre venu spontanément et sans culture ». Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que le mot s'applique par analogie à l'humain et désigne un être fruste, « qui a grandi en liberté, sans éducation ». Mais chacun se souvient que c'est un autre ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, qui, à l'aube du troisième millénaire, lui a donné, si l'on ose dire, ses lettres de noblesse : n'en usait-il pas déjà pour évoquer les casseurs des banlieues, ceux dont Robert fait aujourd'hui de « jeunes délinquants dans le cadre de la violence urbaine » ?
On retiendra surtout de cette maladresse que l'euphémisme, dans lequel l'étymologie veut voir une « belle parole », et qui a pour fonction première de ne point heurter, peut à l'occasion, fût-ce au cœur d'une société vouée au politiquement correct, soulever un tollé. À force de vouloir le dire avec des fleurs, il arrive que l'on reçoive... une volée d'épines !