La loi du nombre
Contrairement à ce que notre précédente rubrique aurait pu laisser croire, les mois d'été ne sont pas seulement ceux des cartes postales. Ils sont aussi, hélas, et plus prosaïquement, ceux des dépenses en tout genre. À cette époque de l'année, savoir écrire une somme en toutes lettres relève, au même titre que le bouche-à-bouche ou le massage cardiaque, des opérations les plus élémentaires de survie : combien d'entre nous ne se sont pas sentis un jour ou l'autre, au guichet, plus mal barrés que le chèque qu'ils étaient en train de signer ? L'occasion ou jamais d'une rapide révision, avant que ne se profilent les premières factures de la rentrée !...
Des mille et des cents
Les adjectifs numéraux qui font problème, fort heureusement, ne sont que trois. Et encore, mille ne constitue qu'un vrai-faux écueil dans la mesure où, désignant un nombre, il est toujours invariable : on ne l'accorde en effet que quand il est question de la mesure de longueur principalement utilisée en marine (« Ce navire a parcouru plusieurs milles avant de regagner le port »). Les cas de vingt et de cent, on le sait, sont un peu plus épineux : tous deux prennent la marque du pluriel quand ils sont multipliés (« le Tour du monde en quatre-vingts jours », « faire les quatre cents coups ») mais la perdent dès qu'ils sont immédiatement suivis d'un autre adjectif numéral (« quatre-vingt-seize », « trois cent huit »). C'est là le genre d'erreur qu'il vous faut absolument éviter si vous ne voulez pas perdre tout... crédit auprès du guichetier, surtout si celui-ci est un lecteur assidu de la présente rubrique ! Ajoutons pour être complet, du moins sur ce chapitre de l'argent, que la marque du pluriel est toutefois maintenue devant million et milliard : « huit cents millions », « quatre-vingts milliards ». C'est que ces derniers sont, tout comme millier, des substantifs, et non pas des adjectifs numéraux. Il est vrai que la probabilité est faible, pour le commun des estivants, d'avoir à signer un jour de tels chèques !
Trait d'union ou pas ?
Pour peu que l'on soit perfectionniste, le trait d'union constitue l'autre épouvantail des comptoirs, le plus redouté peut-être. Le Conseil supérieur de la langue française, dans ces « rectifications » de 1990 que nous avons déjà évoquées à maintes reprises, avait cru bon de contourner le problème en recommandant de le mettre partout : « vingt-trois-mille-six-cent-quatre-vingt-onze ». Voilà qui, certes, n'allait pas précisément dans le sens de l'économie de signes initialement recherchée (faut-il préciser ici que les réformateurs s'étaient fixé pour principal objectif de limiter l'usage de ces fioritures typiquement françaises, censées faire le désespoir des informaticiens ?) mais qui, avouons-le, avait le mérite de nous épargner bien des affres ! Esthétiquement parlant, en revanche, il faut convenir que la généralisation du trait d'union a tôt fait de transformer nos numéraux composés en des monstres que ne désavouerait sans doute pas le réalisateur de Jurassic Park ! Rien ne vous interdit, au demeurant, de rester fidèles à la règle traditionnelle, laquelle, au bout du compte... bancaire, est beaucoup plus simple qu'on ne l'imagine : le trait d'union ne s'impose entre deux éléments que lorsque ceux-ci sont, l'un et l'autre, strictement inférieurs à cent : « neuf cent trente-six millions deux cent quatre-vingt-dix-huit mille trois cent dix-sept francs ». Rappelons que l'utilisation de la conjonction de coordination et exclut du même coup celle du trait d'union : « soixante et onze », « quatre cent vingt et un »... à condition qu'il ne s'agisse pas du jeu, bien sûr !
Espérons que ces quelques conseils, si incomplets soient-ils, conforteront l'usager. Qu'il se souvienne tout de même, dans son propre intérêt, que le chèque n'est pas qu'une affaire de lettres, mais aussi de chiffres !